L’Afrique du Sud a changé de titulaire à la tête de ses Affaires étrangères en 2024, mais elle n’a pas renoncé à la ligne diplomatique affirmée qu’elle défend depuis plusieurs années. L’arrivée de Ronald Ozzy Lamola au ministère des Relations internationales et de la Coopération – l’équivalent sud-africain des Affaires étrangères – marque à la fois une continuité stratégique et un renouvellement générationnel. Juriste de formation, figure montante de l’ANC, ancien ministre de la Justice, Lamola incarne une diplomatie qui se veut à la fois très attachée au droit international, engagée dans la défense de l’« agenda africain » et soucieuse de mieux relier les enjeux extérieurs aux priorités économiques internes.
Né en 1983 dans le village de Bushbuckridge, au nord-est du pays, il appartient à une génération qui n’a connu l’apartheid que dans son enfance mais qui en ressent encore les effets structurels. Son parcours traduit un double ancrage, juridique et militant, au sein du Congrès national africain (ANC) et de sa Ligue de jeunesse. Avant d’entrer au gouvernement, il a occupé des fonctions d’avocat, de cadre dans l’administration locale et de responsable politique, ce qui lui a donné une connaissance fine des rapports entre pouvoir central, collectivités et société civile.
Longtemps perçu comme une figure de la réforme au sein de l’ANC, soutenant notamment Cyril Ramaphosa contre Jacob Zuma, Lamola a été nommé ministre de la Justice et des Services correctionnels en 2019. Il devient alors l’un des plus jeunes membres du gouvernement. Cinq ans plus tard, dans un contexte de recomposition politique et de formation d’un gouvernement d’unité nationale après la perte de la majorité absolue de l’ANC, il est nommé ministre des Relations internationales et de la Coopération le 3 juillet 2024, succédant à Naledi Pandor.
À ce poste, il hérite d’une diplomatie déjà très visible sur la scène internationale, notamment sur les dossiers de la Palestine, de l’Ukraine, de la réforme de la gouvernance mondiale et du rôle renforcé des pays du Sud. Sa mission consiste autant à prolonger cette ligne qu’à l’adapter à un contexte économique difficile, à des tensions géopolitiques fortes et à des attentes élevées de la part de l’opinion publique sud-africaine, qui réclame que la politique étrangère se traduise aussi en bénéfices concrets pour l’emploi, les investissements et la sécurité énergétique du pays.
D’un village de Mpumalanga aux bancs du gouvernement
Ronald Ozzy Lamola naît le 21 novembre 1983 à Bushbuckridge, dans l’actuelle province de Mpumalanga, une région rurale marquée par les inégalités héritées de l’apartheid et par une forte dépendance à l’égard de l’emploi public et des secteurs minier et agricole. Il grandit dans un environnement où l’accès à l’éducation et aux services de base est un enjeu constant, ce qui façonne sa sensibilité aux questions de justice sociale. Il est issu d’une mère swati et d’un père tsonga, ce qui le place au croisement de plusieurs identités linguistiques et culturelles de l’Afrique du Sud post-apartheid.
Après des études secondaires à Mchacka High School, il s’oriente très tôt vers le droit, discipline qu’il étudie à l’université de Venda, une institution historiquement implantée dans une région longtemps marginalisée. Il y obtient son diplôme de droit (LLB), avant de suivre une formation pratique en droit à l’université d’Afrique du Sud (UNISA). Il poursuit ensuite un parcours universitaire soutenu, accumulant certificats de spécialisation et diplômes de troisième cycle. Il se forme notamment en droit des sociétés, en droit bancaire et des marchés financiers, en régulation des télécommunications, et obtient deux maîtrises de l’université de Pretoria, dont l’une en droit des sociétés et l’autre consacrée aux industries extractives en Afrique.
Ce profil académique, rare dans un contexte où beaucoup de responsables politiques sud-africains sont davantage issus de la lutte de libération que d’un cursus universitaire long, lui donne une crédibilité particulière sur les questions de gouvernance, de régulation économique et d’investissement. Avant d’entrer pleinement en politique nationale, il exerce comme avocat dans un cabinet privé, TMN Kgomo and Associates, à partir de 2006. Il occupe aussi des postes de direction dans l’administration locale : il devient notamment cadre au sein de la municipalité locale de Govan Mbeki, puis directeur au sein du bureau du membre de l’exécutif provincial (MEC) chargé de la Culture, des Sports et des Loisirs dans la province de Mpumalanga.
Cette expérience au croisement du droit, de la gestion municipale et de la haute administration provinciale le familiarise avec les réalités budgétaires et institutionnelles du pays. Elle lui permet aussi de comprendre comment les décisions prises à Pretoria se traduisent, ou non, dans la vie quotidienne des habitants des petites villes et des zones rurales. Lamola sert brièvement comme porte-parole par intérim du Premier ministre de Mpumalanga, David Mabuza, ce qui lui donne un premier contact avec la communication politique à haut niveau, dans un contexte souvent conflictuel au sein de l’ANC.
Sur le plan personnel, il se marie en 2013 avec Bawinile « Winnie » Msiza, au cours d’une cérémonie organisée dans sa région natale. Les rares éléments rendus publics sur sa vie privée montrent un responsable politique qui revendique un ancrage familial et local fort, et qui cultive des centres d’intérêt comme le VTT ou le football, dont il est amateur, en particulier en tant que supporter du club Kaizer Chiefs. Sans être déterminants sur le fond de sa politique étrangère, ces éléments contribuent à façonner son image publique : celle d’un ministre relativement jeune, accessible, qui ne se présente pas comme un technocrate détaché des réalités sociales.
Un juriste passé par la Ligue de jeunesse de l’ANC
Parallèlement à son parcours professionnel, Ronald Lamola s’engage très tôt dans la vie politique au sein de l’ANC, principalement par la Ligue de jeunesse (ANC Youth League). Cette structure, historiquement importante dans la vie du parti, a longtemps été un incubateur de dirigeants nationaux et un espace d’expression de courants plus radicaux en matière de justice sociale, de réforme agraire ou de transformation économique. Lamola y gravit les échelons jusqu’à devenir vice-président de la Ligue en 2011, aux côtés de Julius Malema, alors président de l’organisation.
La période est marquée par de fortes tensions internes, en particulier autour du leadership de Jacob Zuma et des orientations économiques de l’ANC. Lorsque Julius Malema est finalement expulsé de la Ligue pour avoir porté atteinte à la réputation du parti, Ronald Lamola se retrouve dans une position délicate. Il se distingue cependant par des prises de position publiques en faveur d’un « meilleur ANC », plaidant pour des réformes internes et pour un renouvellement de la direction. Il soutient Kgalema Motlanthe contre Jacob Zuma au congrès de 2012, illustrant une volonté de repositionner le parti sur une ligne plus réformatrice et moins marquée par les scandales de corruption.
Cette posture lui vaut d’être identifié comme l’un des jeunes cadres susceptibles d’incarner une relève dans le parti, mais elle lui ferme aussi certaines portes à court terme à une époque où Jacob Zuma conserve une influence majeure. Aux élections de 2014, il figure sur la liste nationale de l’ANC pour l’Assemblée, mais trop loin pour obtenir un siège compte tenu des résultats du parti. Dans les années qui suivent, après le congrès de la Ligue de jeunesse de 2015, il s’éloigne temporairement de la première ligne politique et se consacre à son cabinet d’avocat, avant de revenir sur le devant de la scène à mesure que s’affirme le courant favorable à Cyril Ramaphosa.
En 2017, Lamola apporte son soutien à Ramaphosa lors de la bataille pour la présidence de l’ANC. Après la victoire de ce dernier, il est élu au Comité exécutif national (NEC) du parti, puis intégré au Comité de travail national (NWC), l’instance restreinte qui pilote au quotidien la stratégie de l’organisation. Reconduit dans ces fonctions lors de la conférence nationale de 2022, il se voit confier en 2023 la présidence de la sous-commission du NEC chargée des affaires constitutionnelles et juridiques. Ce rôle technique, mais stratégique, renforce encore son profil de juriste engagé sur les enjeux institutionnels, de l’État de droit et de la réforme politique.
Ces différentes responsabilités internes expliquent en partie pourquoi, lorsque Cyril Ramaphosa forme son premier gouvernement après les élections de mai 2019, Ronald Lamola, pourtant encore relativement jeune, est choisi pour diriger le ministère de la Justice et des Services correctionnels. Le président mise ainsi sur un profil combinant compétence juridique, loyauté politique et image de renouvellement, dans un contexte où la lutte contre la corruption et la restauration de la confiance dans les institutions sont devenues des priorités affichées.
De la Justice aux Relations internationales : continuité et changement
En mai 2019, Ronald Lamola entre au Cabinet en tant que ministre de la Justice et des Services correctionnels. Il occupe cette fonction jusqu’en juin 2024, période durant laquelle il est un des visages du discours gouvernemental sur l’État de droit, la réforme du système carcéral et le suivi des recommandations de la commission d’enquête sur la capture de l’État. Sa nomination est largement commentée en Afrique du Sud comme un symbole de rajeunissement du gouvernement, et comme un signal adressé aux électeurs qui réclament une justice plus indépendante et plus efficace.
Au sein de ce portefeuille, Lamola se retrouve régulièrement au cœur de débats très politisés, notamment autour de la lutte contre la corruption, de la réforme des tribunaux et de la place du pays dans le système international de justice pénale. Cette expérience le familiarise avec les juridictions internationales comme la Cour pénale internationale (CPI) ou la Cour internationale de justice (CIJ), dossiers que l’Afrique du Sud suit de près, que ce soit pour la question de l’immunité des chefs d’État ou pour les contentieux liés à des conflits contemporains.
En juin 2024, son mandat à la Justice prend fin. Quelques semaines plus tard, le paysage politique sud-africain change profondément : les élections générales voient l’ANC perdre sa majorité absolue pour la première fois depuis 1994, ouvrant la voie à la formation d’un gouvernement d’unité nationale. Dans ce contexte de coalition élargie, Cyril Ramaphosa compose un nouveau Cabinet dans lequel Ronald Lamola est nommé ministre des Relations internationales et de la Coopération, à compter du 3 juillet 2024. Il prend la succession de Naledi Pandor, qui avait fortement marqué ce portefeuille par une diplomatie très affirmée en faveur de la Palestine, d’une réforme de la gouvernance mondiale et du renforcement du rôle des pays du Sud.
Des analyses publiées notamment par le think tank britannique Chatham House estiment alors que cette nomination s’inscrit dans une logique de continuité : selon ces travaux, la politique étrangère sud-africaine ne devrait pas connaître de inflexion majeure, même si le style du nouveau ministre pourrait être plus discret que celui de sa prédécesseure, et davantage tourné vers des objectifs économiques concrets, comme la recherche d’investissements, la transition énergétique et le financement climatique.
La continuité est également revendiquée par Lamola lui-même dans ses premières interventions publiques. À l’occasion de son discours de Budget Vote en juillet 2024, il présente une « agenda de politique étrangère au service des besoins de notre peuple ». Cette formule résume une ligne qui combine la défense du multilatéralisme, du droit international et de la solidarité Sud-Sud, avec une insistance sur les retombées pour l’emploi, la sécurité alimentaire, la stabilité financière et le développement industriel en Afrique du Sud.
Dans le même temps, il doit composer avec les contraintes d’un gouvernement de coalition, où plusieurs partis aux orientations différentes cohabitent, y compris sur les questions internationales. Cela complique la définition de positions unanimes sur des dossiers sensibles, comme les relations avec les États-Unis, la Russie, la Chine ou l’Union européenne, d’autant que la politique étrangère sud-africaine est devenue un sujet de polarisation interne, critiqué par certains pour son alignement supposé sur des partenaires non occidentaux, et par d’autres pour sa dénonciation jugée insuffisante de certains régimes autoritaires.
Priorités diplomatiques : Afrique, multilatéralisme et droit international
Depuis sa prise de fonctions, Ronald Lamola insiste sur la centralité de l’Afrique dans la politique étrangère de Pretoria. Dans les documents stratégiques du ministère et dans les rapports annuels du Département des Relations internationales et de la Coopération (DIRCO), l’Afrique du Sud réaffirme sa volonté de contribuer à « un meilleur Afrique et un meilleur monde », en mettant l’accent sur la paix, la sécurité et l’intégration économique du continent. Les outils utilisés vont des missions de médiation diplomatique aux opérations de maintien de la paix, en passant par le soutien aux organisations régionales comme la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC) et l’Union africaine.
La diplomatie sud-africaine se conçoit aussi comme une diplomatie de principe, attachée au droit international. C’est dans ce cadre que s’inscrit l’action très médiatisée de Pretoria devant la Cour internationale de justice dans l’affaire opposant l’Afrique du Sud à Israël, dans laquelle le pays accuse l’État hébreu de violer la Convention sur le génocide par sa conduite dans la bande de Gaza. En tant que ministre des Relations internationales, Lamola est chargé de présenter régulièrement des briefings au Parlement sur l’état de la procédure, sur les mesures provisoires décidées par la CIJ et sur leur mise en œuvre. Il insiste, dans ces interventions, sur la nécessité de défendre l’autorité des juridictions internationales face à la tentation de certains États de s’y soustraire.
Avec la Malaisie et d’autres États, l’Afrique du Sud participe également à la création d’un groupe informel, parfois désigné sous le nom de « Hague Group », destiné à soutenir la CIJ et la CPI face aux tentatives de remise en cause de leur action. L’initiative vise à coordonner les positions de plusieurs pays du Sud, mais aussi de certains États d’Amérique latine et d’Afrique, pour défendre l’idée selon laquelle le droit international doit s’appliquer de manière égale à tous les États, y compris les grandes puissances. Ce positionnement s’inscrit dans une critique plus large des « doubles standards » souvent dénoncés par Pretoria, qu’il s’agisse des réponses différenciées aux crises en Ukraine et en Palestine ou de l’usage sélectif des sanctions économiques.
Dans son discours sur la politique étrangère, Lamola insiste par ailleurs sur l’importance du multilatéralisme économique. L’Afrique du Sud, membre des BRICS et du G20, cherche à peser dans les débats sur la réforme des institutions financières internationales, la restructuration de la dette des pays en développement et la mobilisation de financements pour la transition énergétique. Les prises de parole de Lamola évoquent régulièrement la nécessité de « rééquilibrer » les rapports de force au sein du système international, de manière à mieux intégrer les voix du Sud global dans la gouvernance climatique, sanitaire et commerciale.
Sur le plan régional, le ministre participe à des rencontres clés au sein de la SADC, comme les sommets consacrés à la sécurité dans la région des Grands Lacs ou à la situation politique au Mozambique et en République démocratique du Congo. Il a également mis en avant le rôle de l’Afrique du Sud dans le dialogue avec des partenaires asiatiques, à l’occasion de forums comme la Conférence internationale de Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD), où la question de la dette, du coût du capital et du financement des infrastructures est centrale.
Enfin, la diplomatie de Lamola ne se limite pas aux grandes tribunes internationales. Elle se déploie également à travers des positions publiques sur des événements plus concrets, comme l’arrivée en Afrique du Sud d’un vol charter transportant des Palestiniens en provenance d’Israël. Le ministre a exprimé ses inquiétudes sur la possibilité que ce type de dispositif soit utilisé pour vider progressivement Gaza et la Cisjordanie de leur population, appelant à une enquête sur les conditions de ces déplacements et sur le rôle des différents acteurs impliqués. Cette réaction illustre une diplomatie qui se veut attentive aux implications humanitaires des crises internationales, au-delà des seules considérations stratégiques.
Entre principes et réalités : relations avec les grandes puissances et enjeux économiques
Si l’Afrique du Sud se présente comme un défenseur du multilatéralisme et du droit international, Ronald Lamola doit néanmoins naviguer dans un environnement marqué par de fortes tensions entre grandes puissances. Dans ses prises de position, Pretoria se veut officiellement « non alignée », refusant de choisir un camp dans les rivalités entre États-Unis et Chine ou dans les conflits impliquant la Russie. Cette posture se traduit par une diplomatie parfois perçue comme ambiguë, notamment sur la guerre en Ukraine, où l’Afrique du Sud a privilégié un discours tourné vers la médiation et le dialogue, tout en maintenant des liens politiques et économiques avec Moscou.
Cette ligne suscite des critiques de la part de certains partenaires occidentaux, qui reprochent au pays de ne pas condamner plus directement l’agression russe. Dans le même temps, Pretoria insiste sur ce qu’elle décrit comme un traitement différencié des crises par les puissances occidentales, qui seraient plus promptes à sanctionner certains États qu’à agir face à d’autres violations du droit international. Lamola, dans ses interventions, reprend ces arguments en soulignant que la crédibilité du système multilatéral dépend de l’application uniforme des normes juridiques, qu’il s’agisse de la CPI, de la CIJ ou de l’ONU.
Les relations avec les États-Unis illustrent particulièrement ces tensions. Les positions sud-africaines sur la Palestine, la réforme agraire, le climat ou les politiques de transformation économique ont fait l’objet de critiques récurrentes de responsables américains, dans un contexte de débats sur l’avenir des avantages commerciaux dont bénéficie Pretoria, notamment à travers l’African Growth and Opportunity Act (AGOA). La persistance de désaccords sur la politique envers Israël et sur certains choix de politique intérieure sud-africaine contribue à alimenter l’image d’une relation bilatérale plus conflictuelle qu’auparavant, même si les échanges commerciaux et la coopération sectorielle se poursuivent.
En parallèle, l’Afrique du Sud approfondit ses partenariats avec la Chine, la Russie, l’Inde, le Brésil et d’autres pays du Sud global au sein des BRICS élargis. Les questions de financement des infrastructures, d’accès à des technologies de transition énergétique, de coopération industrielle et de réforme des institutions financières internationales occupent une place importante dans l’agenda de Lamola. Dans les discours officiels, la diplomatie économique est présentée comme un instrument au service des priorités nationales : attirer des investissements, soutenir la réindustrialisation, encourager les exportations, sécuriser l’approvisionnement en énergie et en minerais stratégiques.
Ce repositionnement partiel vers le Sud global ne signifie pas pour autant une rupture avec l’Europe ou avec d’autres partenaires traditionnels. L’Union européenne reste un partenaire commercial majeur, et les discussions sur le climat, le commerce ou la migration continuent de structurer le dialogue avec Pretoria. La diplomatie de Lamola doit donc articuler plusieurs dimensions : la défense de principes, parfois en tension avec les intérêts de grandes puissances occidentales, et la recherche d’accords pragmatiques sur des dossiers économiques et environnementaux cruciaux pour l’avenir du pays.
À l’intérieur même de l’Afrique du Sud, ces choix diplomatiques font l’objet d’un débat politique. Certains partis d’opposition dénoncent une diplomatie jugée « idéologique » ou « anti-occidentale » qui risquerait d’affaiblir les relations économiques avec des partenaires clés. D’autres soutiennent au contraire la ligne défendue par Lamola, estimant qu’elle redonne une voix au Sud global et qu’elle s’inscrit dans la continuité de la tradition anti-apartheid du pays, historiquement solidaire des causes de décolonisation et de lutte contre l’oppression. Le ministre doit donc gérer non seulement la scène internationale, mais aussi les attentes et les critiques d’une opinion publique profondément divisée, dans un contexte social marqué par le chômage, la pauvreté et la crise énergétique.
Un jeune ministre face à un monde fragmenté
À 41 ans au moment de sa nomination aux Affaires étrangères, Ronald Ozzy Lamola fait partie des responsables qui incarnent la nouvelle génération de dirigeants sud-africains. Son profil tranche avec celui de certains de ses prédécesseurs, issus directement de la lutte de libération et parfois moins présents dans les débats académiques ou technocratiques. Sa trajectoire de juriste, son expérience gouvernementale à la Justice et son implication dans les instances dirigeantes de l’ANC en font une figure à la fois politique et technicienne, appelée à jouer un rôle durable dans la vie publique du pays.
Les défis auxquels il est confronté sont toutefois considérables. Sur le plan international, la montée des tensions géopolitiques, la fragmentation du système multilatéral, la multiplication des conflits et la remise en cause de certains mécanismes de gouvernance mondiale rendent le travail diplomatique plus complexe. L’Afrique du Sud doit gérer à la fois sa participation au G20 – dont elle doit accueillir un sommet à Johannesburg – et son rôle dans des forums comme la SADC, l’Union africaine ou les BRICS. Lamola se trouve ainsi au centre d’un agenda diplomatique dense, où les sujets de sécurité, de développement, de climat et de justice internationale se superposent.
Sur le plan intérieur, la politique étrangère est de plus en plus jugée à l’aune de sa capacité à produire des résultats tangibles. Les attentes portent sur l’obtention de financements pour des projets d’infrastructure, sur l’accès à des technologies de pointe pour l’énergie ou les télécommunications, sur la protection des intérêts sud-africains dans les négociations commerciales, mais aussi sur la capacité de Pretoria à défendre les droits de ses ressortissants à l’étranger. La pression est d’autant plus forte que le pays traverse une période marquée par des difficultés économiques, des tensions sociales et une défiance persistante envers les institutions.
Dans ce contexte, la manière dont Ronald Lamola parviendra à articuler les dimensions morales et pragmatiques de la diplomatie sud-africaine sera déterminante. Sa défense du droit international, son engagement en faveur d’une application égale des normes juridiques, son soutien aux juridictions comme la CIJ et la CPI lui valent une certaine reconnaissance dans les milieux attachés au multilatéralisme. Mais il sera jugé, en fin de compte, sur la façon dont cette ligne se traduira en bénéfices concrets pour la population, et sur sa capacité à maintenir l’équilibre délicat entre principes et intérêts, dans un système international de plus en plus conflictuel.
Qu’il s’agisse de la défense de la Palestine, des débats sur la guerre en Ukraine, des tensions avec certains partenaires occidentaux ou des efforts pour renforcer la voix de l’Afrique dans les institutions mondiales, le mandat de Ronald Ozzy Lamola à la tête du ministère des Relations internationales et de la Coopération apparaît comme un test important pour la diplomatie sud-africaine. Il dira si le pays parvient à consolider son rôle de porte-voix du Sud global, tout en répondant aux aspirations de ses citoyens à davantage de justice sociale, de sécurité et de prospérité. Dans cette équation, le jeune ministre se trouve à la croisée des chemins, entre héritage de la lutte anti-apartheid, contraintes d’un gouvernement de coalition et recomposition accélérée de l’ordre international.



