Qui est Thembisile Simelane, la femme politique ?

L’Afrique du Sud vit une crise du logement profonde, marquée par des millions de ménages en attente d’un toit décent et une urbanisation rapide qui met les villes sous tension. C’est dans ce contexte que la politicienne Thembisile Phumelele Simelane, souvent appelée Thembi Simelane, a été nommée ministre de l’Habitat (Human Settlements) le 3 décembre 2024 par le président Cyril Ramaphosa.

Membre de l’African National Congress (ANC), elle hérite d’un portefeuille stratégique : transformer l’héritage spatial de l’apartheid, résorber un déficit de plus de deux millions de logements et maintenir un rythme de construction et de rénovation suffisant pour répondre à une demande toujours croissante.

Son arrivée à la tête du ministère ne se résume pas à un simple changement de visage. Elle s’inscrit dans une trajectoire politique déjà bien remplie, faite de responsabilités locales, de fonctions ministérielles et d’une exposition croissante aux critiques, notamment liées à des affaires de gouvernance. Portrait d’une ministre au cœur d’un enjeu social explosif.

Des bancs de Bethal à la lutte anti-apartheid

Thembisile Phumelele Simelane naît le 10 février 1973 à Bethal, dans l’ancienne province du Transvaal de l’Est, aujourd’hui Mpumalanga. Elle grandit dans les dernières années de l’apartheid, un contexte politique et social marqué par la répression et la mobilisation de la jeunesse noire. Très tôt, elle s’engage dans la contestation.

Au lycée, elle rejoint le Congress of South African Students (COSAS), une organisation étudiante opposée au régime, qui joue un rôle central dans la politisation d’une génération entière. Cet engagement précoce préfigure une carrière où la politique ne sera jamais loin, qu’il s’agisse de militantisme, d’administration publique ou de responsabilités exécutives.

Après le lycée, Simelane poursuit ses études à l’Université du Nord, aujourd’hui Université de Limpopo, sur le campus de Turfloop, un haut lieu du militantisme étudiant. Elle y obtient un Bachelor of Arts en 1994, un diplôme en enseignement supérieur en 1995, puis un diplôme d’honneurs en 1997. Parallèlement, elle y occupe des responsabilités dans les structures étudiantes : membre et plus tard vice-présidente du conseil représentatif des étudiants, ainsi que cadre au sein du South African Students Congress (SASCO), dont elle devient secrétaire provinciale pour le Northern Transvaal.

Sa formation académique ne s’arrête pas là. En 2001, elle décroche un Bachelor of Philosophy en études de politiques à l’université de Stellenbosch, une institution historiquement associée au pouvoir afrikaner, ce qui illustre aussi la circulation de nouvelles élites noires dans des espaces autrefois exclusifs. Elle suit ensuite un programme avancé de management à la Wits Business School en 2009 et, plus récemment, obtient un Master en administration publique à l’Université de Limpopo en 2022, consolidant son profil de haute fonctionnaire rompue à la gestion publique.

Cette combinaison d’engagement militant, de formation universitaire et de spécialisation en politiques publiques la place progressivement dans la catégorie des cadres appelés à jouer un rôle dans la gouvernance post-apartheid, à l’échelle locale puis nationale.

De Polokwane à Pretoria : une ascension politique continue

Avant d’accéder aux plus hautes fonctions, Thembi Simelane fait ses armes dans la fonction publique. À partir de 1997, elle occupe différents postes dans l’administration post-apartheid, notamment comme directrice de la communication au sein du bureau du Premier ministre de la province du Limpopo entre 2002 et 2006. Elle passe ensuite par le secteur privé, où elle travaille comme responsable des affaires corporatives pour Anglo American Platinum, puis dirige sa propre société de conseil spécialisée dans l’investissement social.

En juillet 2014, l’ANC annonce sa nomination au poste de maire exécutive de la municipalité locale de Polokwane, capitale de la province du Limpopo, à la suite de la démission de son prédécesseur. Elle sera reconduite à ce poste après les élections locales de 2016. Son mandat de maire est marqué par la gestion des services municipaux, la pression de l’urbanisation et la nécessité de concilier loyautés internes au parti et gouvernance locale.

En parallèle de ses fonctions de maire, Simelane prend de l’épaisseur politique à l’échelle nationale en devenant présidente de la South African Local Government Association (SALGA) entre 2019 et 2021. Cette position, qui représente les municipalités sud-africaines, la place au cœur des débats sur le financement et les compétences des collectivités locales.

Le tournant national intervient en août 2021 : le président Cyril Ramaphosa la nomme vice-ministre de la Gouvernance coopérative et des Affaires traditionnelles (CoGTA). Elle quitte alors la mairie de Polokwane et la présidence de la SALGA pour rejoindre le gouvernement national.

Lors de la conférence nationale de l’ANC en décembre 2022, Simelane est élue au Comité exécutif national (NEC) du parti, puis au Comité de travail national (NWC), deux structures centrales dans la définition des orientations politiques de l’ANC. Elle se voit aussi confier la présidence d’un sous-comité chargé des questions de législature et de gouvernance, ainsi que la participation à une task force sur les coalitions, sujet brûlant dans un paysage politique plus fragmenté.

En mars 2023, après un remaniement, elle est promue ministre de la Gouvernance coopérative et des Affaires traditionnelles, succédant à Nkosazana Dlamini-Zuma. Ce poste la met au cœur des relations entre l’État central, les provinces et les municipalités, un terrain déjà familier. En juillet 2024, à la suite des élections générales, elle devient ministre de la Justice et du Développement constitutionnel.

Mais cette étape est de courte durée. Le 3 décembre 2024, à l’issue d’un nouvel ajustement gouvernemental, Cyril Ramaphosa la retire du ministère de la Justice pour la nommer ministre de l’Habitat, en remplacement de Mmamoloko Kubayi. Elle reste cependant membre de l’Assemblée nationale pour l’ANC, inscrite sur la liste nationale du parti.

Ainsi, en un peu plus d’une décennie, Simelane est passée du leadership municipal à la direction d’un ministère qui touche directement la vie quotidienne de millions de Sud-Africains.

Un ministère au cœur du droit au logement et d’un déficit massif

Le ministère de l’Habitat est l’un des départements les plus sensibles du gouvernement sud-africain. Il est chargé de mettre en œuvre le principe constitutionnel selon lequel « chacun a le droit d’avoir accès à un logement adéquat ».

Le Department of Human Settlements (DHS) a vu le jour après 1994, dans la foulée de la transition démocratique. Ses racines politiques remontent à la Charte de la liberté de 1955, adoptée à Kliptown, dont une clause emblématique proclame : « Il y aura des maisons, de la sécurité et du confort. »

Concrètement, le département fixe les politiques nationales, les normes et les standards pour le développement de logements et d’ensembles humains intégrés. Il définit des objectifs de livraison de logements à l’échelle du pays et supervise l’action des provinces et des municipalités, qui sont en première ligne pour la mise en œuvre. Il finance aussi divers programmes, à travers des subventions conditionnelles et le soutien d’agences spécialisées comme la Housing Development Agency (HDA) ou la Social Housing Regulatory Authority (SHRA).

En trente ans de démocratie, le secteur de l’habitat a permis la livraison de millions de logements : plus de 3,4 millions de maisons en dur ou unités en immeubles depuis 1994, ainsi qu’environ 1,3 million de terrains viabilisés, selon un rapport de politique sectorielle. Le site officiel du DHS souligne qu’environ 5 millions de logements ont profité à plus de 20 millions de personnes lorsqu’on inclut l’ensemble des programmes de l’habitat au sens large.

Mais ces progrès restent loin de combler les besoins. Plusieurs études récentes estiment le déficit de logements à au moins 2,2 millions d’unités, avec plus de 2,4 millions de ménages enregistrés sur le registre national des besoins en logement en 2023. La demande est particulièrement forte dans le « gap market » : des ménages dont les revenus sont trop élevés pour les programmes de logements subventionnés (type RDP), mais trop faibles pour accéder à un crédit immobilier classique.

À cela s’ajoute la croissance rapide des implantations informelles, alimentée par une urbanisation soutenue et des migrations internes vers les grands centres économiques. Le DHS est mandaté pour promouvoir l’intégration spatiale, sécuriser la tenure foncière, développer des quartiers mixtes (socialement et économiquement), et moderniser la planification des villes, afin de rompre avec la séparation raciale héritée de l’apartheid.

C’est ce portefeuille, à la fois technique, social et hautement politique, que Thembi Simelane dirige depuis fin 2024.

Réformes, numérique et nouvelle feuille de route pour l’Habitat

Dès son arrivée au ministère de l’Habitat, Thembi Simelane s’inscrit dans la continuité d’un travail de restructuration du cadre politique de l’habitat, marqué notamment par la préparation d’un nouveau Livre blanc (White Paper for Human Settlements), approuvé fin 2024.

Ce nouveau document de référence vise à fixer une orientation à long terme pour la politique de l’habitat en Afrique du Sud. Il prévoit la transition d’une logique centrée sur la simple fourniture de maisons vers le développement d’« ensembles humains intégrés et durables », combinant logement, services, transport, sécurité et accès aux opportunités économiques. Il sert aussi de base à une future refonte législative, avec l’abrogation annoncée de la Housing Act de 1997 au profit d’une nouvelle loi sur les human settlements.

En juillet 2025, lors d’un débat budgétaire au Conseil national des provinces (NCOP) sur le Budget Vote 33 (Human Settlements), Simelane présente les priorités de son département pour l’exercice 2025/2026. Elle y décrit l’habitat comme un levier de dignité et insiste sur la nécessité de dépenser chaque centime du budget de manière « impactante » d’ici mars 2026.

Parmi les chantiers mis en avant, figure notamment la modernisation numérique. En partenariat avec la State Information Technology Agency (SITA), le ministère développe un National Digital Human Settlements Management System (NDHS MS), un système numérique national de gestion des données sur l’habitat destiné à améliorer la coordination entre les différents niveaux de gouvernement et les entités du secteur.

Simelane souligne également la nécessité de s’attaquer aux retards dans les processus d’établissement et de proclamation des townships, considérés comme un frein majeur à l’extension de l’offre de logements. Elle annonce que le ministère cherchera des aménagements à certaines dispositions de lois clés comme le Spatial Planning and Land Use Management Act (SPLUMA) et le National Environmental Management Act (NEMA), en discussion avec les ministères concernés, pour accélérer les projets sans pour autant renoncer aux exigences environnementales et de planification.

Dans son discours, la ministre met aussi en avant les partenariats avec les chefs traditionnels et des institutions financières publiques comme la National Housing Finance Corporation (NHFC), notamment pour aider les ménages ruraux du « gap market » à construire leur première maison via des dispositifs comme First Home Finance.

Sur le plan budgétaire, même si les chiffres précis cités dans les documents publics peuvent remonter à la période précédant sa prise de fonction, l’ordre de grandeur reste significatif : plus de 30 milliards de rands par an, dont la grande majorité est consacrée aux transferts sous forme de subventions aux provinces, aux municipalités et aux entités du secteur. Une partie importante de ces fonds cible la mise à niveau des implantations informelles et le développement d’infrastructures dans les zones urbaines.

La mission de Simelane, telle qu’elle la présente, consiste dès lors à transformer ce budget en projets concrets, à renforcer la cohérence entre politiques nationales et mise en œuvre locale, et à relier les grandes orientations du Plan national de développement (NDP 2030) aux réalités quotidiennes des quartiers populaires.

Une ministre sous pression, entre attentes sociales et controverses

Si le ministère de l’Habitat place Thembi Simelane au cœur d’un enjeu social crucial, il la place aussi sous les projecteurs pour des raisons moins flatteuses. Son nom est en effet associé à plusieurs affaires qui nourrissent un débat sur l’éthique et la gouvernance.

Une polémique ancienne remonte à son mandat de maire de Polokwane. En 2016, elle aurait reçu un « prêt » d’un intermédiaire lié à VBS Mutual Bank pour financer un café. Ce prêt unique, consenti par ce même intermédiaire cette année-là, est ensuite apparu dans des enquêtes sur le scandale VBS, qui a mis en lumière des flux financiers irréguliers impliquant plusieurs municipalités, dont Polokwane. En 2024, les Hawks – l’unité d’enquête spécialisée sud-africaine – perquisitionnent les bureaux de la municipalité pour recueillir des preuves potentielles de corruption en lien avec un investissement municipal de 349 millions de rands dans VBS en 2016 et 2017.

Le prêt accordé à Simelane est évoqué dans ce contexte, certains y voyant un possible lien avec des opérations de blanchiment. La ministre affirme avoir informé le président Ramaphosa de l’existence de ce prêt avant sa nomination au gouvernement.

En avril 2025, alors qu’elle est déjà ministre de l’Habitat, le principal parti d’opposition, la Democratic Alliance (DA), dépose une plainte pénale contre elle, l’accusant d’avoir fraudé la compagnie publique d’électricité Eskom d’environ 700 000 rands. À ce stade, ces accusations relèvent de procédures judiciaires en cours : aucune condamnation n’a été prononcée, et la présomption d’innocence demeure, même si l’exposition médiatique est forte.

Ces affaires alimentent un récit politique complexe. D’un côté, Simelane est présentée par ses soutiens comme une cadre expérimentée, ayant servi à différents niveaux et disposant d’une longue expérience de la gestion publique. Les structures officielles – du Parlement à la SHRA – saluent son arrivée au ministère de l’Habitat et mettent en avant sa capacité à diriger un portefeuille exigeant.

De l’autre, ses adversaires politiques y voient une figure emblématique des contradictions de l’ANC au pouvoir : un parti qui a bâti sa légitimité sur la lutte pour la justice sociale mais qui doit désormais répondre à des accusations répétées de mauvaise gestion et de corruption dans diverses sphères de l’État. Les procédures autour de VBS Mutual Bank et les investigations associées restent, à ce titre, symboliques des tensions entre services publics, finances municipales et intégrité des dirigeants.

Cette pression politique s’ajoute à la pression sociale immense qui pèse sur le ministère de l’Habitat : chaque retard, chaque projet bloqué, chaque chantier défaillant se traduit par une contestation tangible, sous forme de protestations, de mouvements citoyens ou de contentieux juridiques autour du droit au logement.

Quel rôle pour Simelane dans la crise du logement sud-africaine ?

La question centrale, aujourd’hui, est de savoir dans quelle mesure Thembi Simelane peut influer concrètement sur la crise du logement que traverse l’Afrique du Sud. Les données disponibles montrent un système sous tension : un déficit estimé à plus de 2,2 millions d’unités, une forte croissance des implantations informelles, une urbanisation rapide et un « gap market » pris en étau entre programmes publics et marché privé.

Dans ses discours publics, la ministre met en avant plusieurs leviers : la modernisation numérique de la gestion des données sur l’habitat ; la simplification des procédures d’aménagement et de proclamation des townships ; le renforcement de la collaboration avec les provinces, les municipalités et les chefs traditionnels ; et la mise à jour du cadre politique à travers le nouveau Livre blanc sur les human settlements.

Ces éléments s’inscrivent dans une stratégie plus large, portée par le DHS, qui consiste à passer d’une politique centrée sur la simple production de logements à une vision de quartiers intégrés : mixité des usages (logement, commerce, services), mixité des revenus (logements sociaux, abordables et de marché), et réduction des distances entre lieux de résidence et emplois.

Reste une question déterminante : la capacité d’exécution. Les documents officiels soulignent déjà les difficultés de coordination entre les différents niveaux de gouvernement, les retards dans l’utilisation des budgets alloués et les obstacles réglementaires qui ralentissent les projets. La réussite des ambitions affichées dépendra autant de la stabilité politique et de la qualité de la gestion locale que des annonces faites au niveau national.

Sur le plan symbolique, la trajectoire de Simelane – de militante étudiante engagée contre l’apartheid à ministre chargée de corriger l’héritage spatial de ce même système – illustre une continuité historique. Son ministère est explicitement chargé de « transformer la planification spatiale héritée de l’apartheid et les schémas d’exclusion sociale », comme le rappelle le plan stratégique 2025-2030 du DHS.

Mais cette continuité est traversée de contradictions : le même État qui se veut réparateur est confronté à des accusations de corruption, d’inefficacité et de promesses non tenues. La figure de Simelane concentre en partie ces tensions : experte de la gouvernance locale et nationale, mais aussi responsable politique interpellée sur la transparence de certains financements passés.

À ce stade, les informations disponibles permettent de dresser un portrait nuancé : celui d’une ministre issue du militantisme et de la haute administration, dotée d’un mandat ambitieux dans un domaine où les attentes sociales sont immenses, mais rattrapée par des controverses que la justice devra trancher. Les prochaines années diront si Thembisile Phumelele Simelane parvient à faire de l’Habitat un terrain de reconquête de la confiance publique, ou si les contraintes politiques et judiciaires limiteront sa capacité à transformer la réalité du logement en Afrique du Sud.

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