L’annonce de la prime destinée aux joueurs et au staff technique des Barea, la sélection nationale malgache de football, a suscité autant de fierté que de débats. Si la somme de 61,8 millions d’ariary attribuée à chaque joueur semble conséquente, elle est en réalité le fruit de calculs précis et de déductions opérées en amont par la Confédération africaine de football (CAF). Derrière les chiffres, se cachent des réalités économiques, institutionnelles et sportives qui méritent d’être examinées avec rigueur. Car au-delà de la prime, c’est tout un système de gestion du football africain et malgache qui se révèle.
Une récompense saluée mais nuancée
Les Barea, symbole de la fierté nationale, ont depuis plusieurs années conquis le cœur des Malgaches. Leur parcours impressionnant lors des compétitions continentales a redonné espoir à tout un peuple passionné de ballon rond. L’annonce d’une prime individuelle de 61,8 millions d’ariary, soit environ 13 000 euros, a d’abord été perçue comme une juste récompense pour des athlètes qui ont porté haut les couleurs du pays.
Mais rapidement, des interrogations ont surgi. Pourquoi une telle somme alors que la Fédération malgache de football (FMF) avait annoncé un montant total de 1,2 million de dollars promis par la CAF ? Comment expliquer que chaque joueur ne perçoive qu’une fraction de ce montant, surtout dans un contexte où les finances du football malgache sont souvent sujettes à controverses ?
Alfred Randriamanampisoa, président de la FMF, a tenu à clarifier la situation. Selon lui, le montant de 1,2 million de dollars n’a pas été versé intégralement à Madagascar. Une partie substantielle a été directement déduite par la CAF pour couvrir certaines dépenses : droits télévisuels, hébergements, frais logistiques et autres charges organisationnelles. Ce mécanisme de déduction automatique, courant dans le football africain, explique en partie la somme finalement allouée aux Barea.
Cette explication a permis de calmer une partie des critiques, mais elle a aussi mis en lumière les faiblesses structurelles du financement du football malgache.
Le rôle de la CAF : entre soutien financier et contrôle rigoureux
La Confédération africaine de football est l’organe suprême du football sur le continent. Elle joue un rôle crucial dans la distribution des fonds, la supervision des compétitions et le contrôle de la bonne gestion des primes. En théorie, la CAF reverse une partie des revenus générés par les compétitions – notamment la Coupe d’Afrique des Nations (CAN) – aux fédérations participantes, afin de les encourager et de soutenir leurs infrastructures sportives.
Cependant, avant tout versement, la CAF applique un mécanisme de compensation. Les frais liés à l’hébergement des équipes, aux transports, aux droits télévisés ou encore aux assurances sont déduits du montant global. Dans le cas des Barea, ces frais ont été particulièrement lourds : plusieurs séjours à l’hôtel, des déplacements internationaux et une logistique complexe ont pesé sur le budget. Résultat : sur les 1,2 million de dollars annoncés, seule une partie a effectivement été transférée à la FMF pour être redistribuée aux joueurs et au staff.
Cette transparence nouvelle, saluée par certains observateurs, reflète une volonté de la CAF d’éviter les polémiques financières qui ont souvent terni les grandes compétitions africaines. Toutefois, elle met aussi en exergue la dépendance des fédérations locales vis-à-vis de l’instance continentale. Sans un contrôle financier interne solide, les fédérations restent à la merci des décisions de la CAF et des fluctuations budgétaires.
Une gestion financière qui interroge
La question de la transparence financière est récurrente dans le sport malgache, et plus particulièrement dans le football. Les supporters et observateurs réclament régulièrement davantage de clarté quant à l’utilisation des fonds perçus par la FMF. Si la prime attribuée aux joueurs semble équitable, les modalités de calcul, de conversion et de distribution restent floues pour une grande partie du public.
Le président Alfred Randriamanampisoa a assuré que les sommes seraient intégralement versées aux 29 joueurs ainsi qu’aux 8 membres du staff technique. Il a également précisé que chaque bénéficiaire recevrait 61,8 millions d’ariary nets. Pourtant, certains experts financiers estiment que les frais annexes – notamment les charges fiscales ou les taux de conversion – pourraient influencer la somme finale perçue individuellement.
Derrière cette polémique se cache une réalité plus complexe : la FMF, comme beaucoup de fédérations africaines, dépend largement des subventions de la CAF et de la FIFA pour financer ses activités. Or, cette dépendance crée un déséquilibre structurel. Les recettes locales issues du sponsoring, du merchandising ou des droits de diffusion sont souvent insuffisantes pour garantir une autonomie financière durable.
La prime des Barea illustre donc à la fois une réussite sportive et une fragilité économique. Les joueurs, en tant qu’ambassadeurs du pays, bénéficient d’une reconnaissance légitime. Mais le système qui les rémunère reste tributaire d’une architecture financière opaque et d’une gouvernance en quête de réforme.
Les attentes des joueurs et du public
Pour les joueurs, cette prime représente bien plus qu’un simple bonus. Elle symbolise la reconnaissance du travail accompli, des sacrifices consentis et du prestige apporté à la nation. Beaucoup d’entre eux ont grandi dans des conditions difficiles, rêvant un jour de représenter Madagascar sur la scène internationale. Recevoir une prime conséquente, même après déductions, est donc perçu comme un accomplissement personnel et collectif.
Cependant, dans un pays où le salaire moyen reste très bas, ces montants spectaculaires peuvent aussi générer des tensions. Certains citoyens, confrontés à des difficultés économiques quotidiennes, peinent à comprendre l’ampleur de ces primes. Sur les réseaux sociaux, les réactions ont été partagées : entre fierté nationale et critiques sur la gestion des fonds publics.
Les joueurs eux-mêmes, conscients de leur statut, ont exprimé leur gratitude tout en appelant à plus de transparence et à une meilleure gestion des ressources sportives. Plusieurs cadres de la sélection ont insisté sur la nécessité d’investir davantage dans les infrastructures locales, notamment dans les académies de jeunes, les terrains d’entraînement et la formation des entraîneurs. Pour eux, la prime reçue est un symbole, mais la véritable récompense serait de voir le football malgache se développer de manière durable.
Le public, quant à lui, continue d’espérer une transformation structurelle du sport national. Si les Barea incarnent la fierté et l’unité, leur succès doit aussi servir de levier pour des réformes plus profondes.
La gestion du football malgache en quête de professionnalisation
L’affaire des primes des Barea met en évidence la nécessité de professionnaliser la gestion du football à Madagascar. Malgré les succès récents, le pays fait encore face à des défis majeurs : infrastructures vétustes, manque de financement local, insuffisance de formation des cadres techniques et déficit de communication institutionnelle.
La Fédération malgache de football a certes entrepris des réformes depuis quelques années, mais celles-ci peinent à produire des résultats concrets. La gestion des fonds reçus de la CAF et de la FIFA, la supervision des ligues régionales et la structuration des clubs demeurent des chantiers ouverts. Plusieurs observateurs appellent à une refonte complète du modèle, en s’inspirant d’expériences réussies ailleurs en Afrique.
Le développement du football professionnel malgache suppose aussi une meilleure coordination entre le public et le privé. Les entreprises locales, souvent frileuses à investir dans le sport, pourraient jouer un rôle crucial en soutenant les clubs et les infrastructures. De leur côté, les autorités doivent instaurer un cadre réglementaire clair, garantissant la transparence et la bonne gouvernance.
Les primes des Barea rappellent que la réussite sportive est indissociable d’une gestion saine. Sans une administration rigoureuse, même les exploits les plus mémorables risquent de s’effacer face aux réalités financières.
Une opportunité pour réinventer la politique sportive nationale
Au-delà du débat sur les primes, cette situation offre une occasion unique de repenser la politique sportive nationale. Le sport, et particulièrement le football, joue un rôle essentiel dans la cohésion sociale et l’image internationale du pays. Les succès des Barea ont montré que Madagascar pouvait rivaliser avec les meilleures nations africaines, mais aussi que cette réussite devait s’accompagner d’une vision à long terme.
Le gouvernement, par l’intermédiaire du ministère de la Jeunesse et des Sports, a désormais un rôle clé à jouer. L’enjeu n’est pas seulement de récompenser les performances ponctuelles, mais de bâtir une stratégie pérenne : moderniser les stades, créer des centres de formation régionaux, professionnaliser les ligues locales et encourager la participation des jeunes. Ces initiatives nécessitent des moyens financiers importants, mais aussi une volonté politique affirmée.
L’État pourrait également encourager des partenariats avec le secteur privé et les institutions internationales afin de diversifier les sources de financement. Car un football fort, bien géré et bien encadré, constitue un atout économique, touristique et diplomatique pour Madagascar.
Le cas des Barea est révélateur : derrière chaque victoire se cache un système fragile, souvent dépendant d’aides extérieures. Transformer cette fragilité en force exige de repenser en profondeur les mécanismes de financement et de gouvernance du sport national.
Conclusion : entre reconnaissance et responsabilité
La prime de 61,8 millions d’ariary versée à chaque joueur et membre du staff des Barea est à la fois une récompense légitime et un révélateur des défis qui persistent dans le football malgache. Si l’explication fournie par le président de la Fédération, Alfred Randriamanampisoa, éclaire les mécanismes financiers mis en œuvre par la CAF, elle souligne également la nécessité d’une plus grande transparence et d’une gestion modernisée.
Les Barea ont prouvé que le talent et la détermination peuvent hisser Madagascar au sommet du football africain. Mais pour que cette réussite ne soit pas éphémère, il faut désormais consolider les bases : professionnaliser la gestion, développer les infrastructures et instaurer une culture de la responsabilité financière. La prime, en somme, n’est qu’un symbole ; la véritable victoire résidera dans la capacité du pays à bâtir un modèle durable, juste et transparent pour les générations futures.



