À Cabo Verde, petit archipel atlantique souvent présenté comme l’un des systèmes politiques les plus stables d’Afrique de l’Ouest, certaines figures traversent les décennies en passant du terrain municipal aux sommets de l’État. Jorge Pedro Maurício dos Santos, plus connu sous le nom de Jorge Santos, appartient à cette catégorie de responsables dont la trajectoire s’est construite par étapes, au rythme des élections, des alternances et des dossiers concrets d’un pays insulaire. Ingénieur de formation, cadre du Mouvement pour la démocratie (MpD), il a successivement occupé des responsabilités locales, parlementaires et gouvernementales, jusqu’à devenir l’un des visages institutionnels les plus identifiables de l’archipel au cours de la dernière décennie.
Son nom est aujourd’hui associé à plusieurs séquences politiques : une longue période aux commandes d’une municipalité de Santo Antão, une ascension interne au MpD, puis une place centrale au Parlement, qu’il a présidé de 2016 à 2021. Après cette étape, Jorge Santos réapparaît au premier plan dans l’exécutif, avec des portefeuilles directement liés à deux réalités structurantes du Cap-Vert : sa diaspora et son rapport à la mer. Dans un pays où l’émigration est un fait social majeur et où l’économie bleue est présentée comme un horizon de développement, ces fonctions le placent au croisement de l’identité nationale, de la cohésion territoriale et des ambitions économiques.
Qui est donc Jorge Santos, au-delà des intitulés de postes ? Que raconte son parcours sur les équilibres politiques capverdiens, sur les dynamiques entre îles, sur l’articulation entre pouvoir local et pouvoir central, et sur les priorités du pays ? Portrait d’un responsable dont la carrière permet de lire, en filigrane, les continuités et les recompositions d’un État insulaire.
Un ingénieur devenu élu : le passage par la municipalité de Ribeira Grande (Santo Antão)
Avant les fonctions nationales, il y a le terrain. Et, au Cap-Vert, le terrain est souvent l’échelle municipale : un espace de proximité où l’on gère l’urbanisme, les infrastructures, les services, la relation directe avec les habitants. Jorge Santos s’est longtemps inscrit dans cette logique. Ingénieur diplômé, avec une formation de niveau master en ingénierie de construction civile et industrielle, il entre dans la vie publique par des responsabilités techniques puis politiques dans le concelho de Ribeira Grande, sur l’île de Santo Antão.
Ce point est décisif pour comprendre sa trajectoire : Santo Antão, île montagneuse, marquée par une géographie exigeante, a longtemps symbolisé les défis d’accessibilité, de routes, d’équipements et de connectivité inter-îles. Être élu local dans un tel contexte, c’est apprendre la politique par les contraintes matérielles, l’aménagement, les arbitrages de budget et les attentes immédiates des populations. Jorge Santos a notamment exercé des fonctions de direction dans un cabinet technique local avant de devenir délégué du gouvernement, puis président de la chambre municipale de Ribeira Grande.
Dans un pays archipélagique, la dimension locale n’est jamais secondaire. Chaque île porte ses besoins spécifiques, et la relation au centre, situé à Praia (Santiago), se construit par la négociation, la représentation et la capacité à faire remonter des dossiers. Les responsables qui ont connu la municipalité développent souvent une méthode : parler infrastructures, planification, ingénierie de projet, mais aussi composer avec la réalité sociale, les distances, l’émigration et les transferts des familles.
Cette longue expérience à Ribeira Grande lui a aussi permis d’occuper des responsabilités dans le monde municipal au-delà de sa commune. Il est mentionné comme fondateur et président d’une association des municipalités de Santo Antão, puis président d’instances nationales de municipalités. Ce type de fonctions n’est pas seulement honorifique : dans les États décentralisés, même partiellement, les associations de municipalités deviennent des interlocuteurs sur les financements, la formation des cadres locaux, l’harmonisation des pratiques et la défense des intérêts des territoires.
En toile de fond, se dessine une idée : Jorge Santos n’est pas un responsable apparu brusquement dans les institutions nationales. Son profil s’est construit dans le temps, avec une culture technique et administrative, et avec une légitimité d’élu local. Au Cap-Vert, ce passage par le municipal est un marqueur important : il signale une proximité avec les réalités quotidiennes et un apprentissage de la gouvernance par le bas.
Le MpD, matrice partisane et ascension interne : de cadre à président du parti
Le Cap-Vert vit depuis plusieurs décennies au rythme d’un pluralisme où les alternances se font par les urnes et où les partis structurent les carrières. Jorge Santos est membre du Mouvement pour la démocratie (MpD), formation majeure du paysage politique capverdien, souvent présentée comme l’une des forces centrales de la vie parlementaire et gouvernementale du pays. Dans cette architecture, être cadre du parti ne signifie pas seulement militer : c’est aussi participer à la fabrication des candidatures, aux choix stratégiques, aux relations extérieures et à l’élaboration d’une ligne.
Jorge Santos a présidé le MpD pendant une période située dans les années 2000. Une présidence de parti, dans un pays à la fois petit par la population et dispersé par la géographie, exige de gérer plusieurs équilibres : équilibre entre îles, entre générations, entre élus locaux et figures nationales ; équilibre aussi entre l’enracinement territorial et l’image extérieure du pays.
Son rôle au sein des instances dirigeantes du MpD, où il est mentionné comme membre de la commission politique nationale et coordinateur des relations extérieures, éclaire une facette souvent moins visible : la dimension diplomatique partisane. Dans certains États, les partis entretiennent des réseaux internationaux, participent à des rencontres, développent des liens avec des familles politiques étrangères. Pour un archipel comme le Cap-Vert, dont une part importante de la population vit à l’étranger, ces réseaux peuvent également croiser les enjeux de diaspora, d’investissements et de perception internationale.
Cette ascension interne est aussi une passerelle naturelle vers des responsabilités parlementaires. Les partis capverdiens fonctionnent avec des groupes parlementaires, des bureaux politiques, des hiérarchies d’investiture. Être un dirigeant du MpD facilite l’accès à des postes institutionnels, mais implique aussi une exposition : on devient un visage du parti, un responsable qu’on associe aux choix, aux compromis et parfois aux controverses.
Le cas de Jorge Santos illustre un schéma classique : l’élu local se renforce dans l’appareil partisan, puis devient l’un des cadres capables de tenir une fonction institutionnelle au niveau national. Cela ne dit pas tout de la personnalité, mais cela situe la place qu’il occupe : celle d’un responsable qui a su se maintenir dans la durée au sein d’une structure politique compétitive, ce qui suppose à la fois de l’influence interne et une capacité à rester audible dans des périodes changeantes.
Le Parlement au cœur : vice-présidence puis présidence de l’Assemblée nationale (2016-2021)
C’est sans doute la présidence de l’Assemblée nationale qui installe Jorge Santos dans une notoriété institutionnelle plus large. Au Cap-Vert, le Parlement joue un rôle clé : il incarne le pluralisme, l’équilibre des pouvoirs, et le lieu où se confrontent les projets, les lois, les orientations budgétaires. Jorge Santos y occupe d’abord une fonction de vice-présidence au cours des années 2000, avant d’accéder à la présidence de l’Assemblée nationale en avril 2016, poste qu’il conserve jusqu’en mai 2021.
Pour comprendre l’importance de cette fonction, il faut rappeler ce qu’elle signifie dans un régime parlementaire ou semi-présidentiel : le président de l’Assemblée n’est pas seulement un arbitre de séance. Il représente l’institution, gère l’ordre des débats, supervise l’organisation interne, porte la voix du Parlement dans les cérémonies officielles et dans la relation avec les autres pouvoirs. Dans de nombreux pays, cette position correspond à l’une des plus hautes fonctions de l’État.
Son arrivée à la présidence en 2016 intervient dans un contexte de nouvelle législature et marque une phase où le MpD, force majoritaire, occupe une place centrale au Parlement. Jorge Santos devient alors, pour cinq ans, l’un des gardiens des procédures, mais aussi un acteur de la stabilité institutionnelle. Au Cap-Vert, où l’image de stabilité démocratique est un capital politique important, la manière de conduire les débats parlementaires compte autant que les décisions elles-mêmes : elle participe au récit national d’un État de droit fonctionnel.
Cette période de 2016 à 2021 est également celle où l’archipel fait face à plusieurs enjeux : dépendance économique, vulnérabilités climatiques, défis d’infrastructure, et, à partir de 2020, choc sanitaire mondial. Dans ces moments, les parlements sont soumis à une tension particulière : continuer à légiférer, contrôler l’exécutif, tout en s’adaptant à des circonstances exceptionnelles. La présidence de l’Assemblée implique alors d’articuler continuité démocratique et adaptation institutionnelle.
À ce stade, un élément de méthode s’impose : parler de l’action précise d’un président de parlement exige de s’appuyer sur des faits documentés, car la fonction est souvent collective et procédurale. Ce que l’on peut dire, en revanche, c’est que la longévité de Jorge Santos à ce poste traduit une capacité à se maintenir dans une position d’équilibre, et à incarner une institution au-delà de la compétition partisane quotidienne.
En quittant la présidence en 2021, il laisse la place à un successeur, dans le cadre normal de la transition entre législatures. La séquence n’a rien d’anecdotique : elle marque un passage d’un rôle de chef d’institution à un rôle plus directement exécutif dans les années suivantes. Autrement dit, Jorge Santos ne se retire pas : il se déplace.
La diaspora comme dossier d’État : un ministre des Communautés face aux réalités de l’émigration
Impossible de parler du Cap-Vert sans parler de sa diaspora. L’émigration capverdienne est un fait historique et structurel : des familles installées en Europe, en Amérique du Nord, ailleurs en Afrique ; des transferts financiers qui pèsent dans l’économie ; des liens culturels entretenus par les langues, les associations, les fêtes, les retours au pays. Dans ce contexte, le portefeuille des Communautés n’est pas un ministère périphérique : il se situe au cœur de la relation entre la nation et ses citoyens à l’étranger.
Jorge Santos a occupé des fonctions ministérielles liées à ce champ. Être ministre des Communautés, c’est gérer une matière sensible : services consulaires, questions de nationalité, lien civique, participation, investissements de la diaspora, accompagnement social, mais aussi représentation symbolique. Les attentes sont fortes : les diasporas demandent des réponses pratiques, rapides, adaptées aux pays de résidence, et elles souhaitent souvent être considérées comme une composante à part entière de la nation.
Dans des prises de parole publiques, Jorge Santos a notamment défendu une vision inclusive où les émigrés peuvent, s’ils le souhaitent, accéder à la nationalité capverdienne. Derrière ce type d’affirmation, il y a une stratégie politique : consolider le lien national au-delà des frontières, reconnaître les parcours d’exil et de mobilité, et renforcer l’idée d’un Cap-Vert transnational.
Mais la gestion de la diaspora n’est pas qu’un enjeu juridique. C’est aussi un enjeu de confiance : confiance envers les institutions consulaires, envers l’administration, envers la capacité de l’État à comprendre les réalités de la vie à Paris, Lisbonne, Boston ou Rotterdam. Le ministre des Communautés devient alors un médiateur, un responsable attendu sur le terrain symbolique autant que sur le terrain technique.
Son expérience antérieure peut jouer ici : un élu local issu d’une île fortement marquée par l’émigration comprend souvent, de manière intime, le rôle des transferts, des retours et des réseaux familiaux. Le Cap-Vert, plus que d’autres pays, fonctionne avec cette circulation permanente entre dedans et dehors. Le ministère des Communautés, dans ce cadre, est une interface politique majeure.
Le dossier est aussi politique au sens partisan : la diaspora vote, suit les débats, et peut influencer la perception internationale du pays. Pour un responsable comme Jorge Santos, qui a également des responsabilités de relations extérieures au sein de son parti, l’articulation entre diaspora, diplomatie et image du Cap-Vert forme un ensemble cohérent.
La mer, ressource et horizon : ministre du Mar et pari sur l’économie bleue
Dernière étape notable de cette trajectoire : la mer. Là encore, le sujet est central au Cap-Vert. Archipel au milieu de l’Atlantique, pays de pêche, de transport maritime inter-îles, de ports, et de vulnérabilités liées à la gestion des ressources marines, le Cap-Vert voit dans l’économie bleue un levier de développement. Dans ce cadre, Jorge Santos a été nommé ministre du Mar, et, à certains moments, il a été amené à cumuler des responsabilités ministérielles, tout en gardant un lien avec le dossier des Communautés.
La nomination au ministère du Mar place un responsable politique face à des contraintes spécifiques : durabilité des pêches, régulation, infrastructures portuaires, sécurité maritime, formation, chaîne du froid, marchés, relation avec les pêcheurs et les acteurs de la transformation. À cela s’ajoutent des enjeux géopolitiques : surveiller des zones maritimes, lutter contre la pêche illégale, coopérer avec des partenaires régionaux et internationaux.
Dans des déclarations rapportées lors de sa prise de fonctions, Jorge Santos s’est engagé à mettre l’économie maritime au centre des priorités, en l’inscrivant dans l’économie nationale. Cet engagement s’inscrit dans une narration plus large portée par l’État capverdien : faire de la mer un moteur, et pas seulement une frontière. Pour un archipel, cette idée est presque existentielle : la mer sépare les îles, mais elle les relie ; elle peut être un obstacle logistique, mais aussi une ressource.
Son profil d’ingénieur peut être un atout sur ce terrain. Les politiques maritimes exigent souvent une approche technique : gestion d’infrastructures, planification de projets, évaluation des risques, coordination de chantiers. Elles exigent aussi un sens politique aigu : les communautés de pêcheurs, les armateurs, les acteurs portuaires, les élus locaux ont des intérêts qui ne convergent pas toujours.
Le ministère du Mar s’inscrit enfin dans un cadre temporel où le Cap-Vert réfléchit à sa place dans les grandes discussions globales : climat, biodiversité, économie durable. Sans attribuer à Jorge Santos des positions qu’il n’a pas publiquement formulées, on peut constater que la fonction l’installe, de fait, dans un espace où l’action politique nationale rencontre des agendas internationaux.
À ce stade, le portrait se précise : Jorge Santos n’est pas seulement un ancien président de parlement. Il devient un responsable exécutif sur des dossiers structurants, où l’État capverdien cherche à consolider sa cohésion interne (diaspora, liens civiques) et à construire un modèle économique (mer, ressources, transports, pêche) adapté à sa géographie.



