À Djibouti, la question du numérique n’est plus cantonnée aux couloirs techniques des télécommunications. Elle s’est imposée comme un marqueur politique, un levier de souveraineté, un outil de réforme de l’État et un pari économique dans un pays qui, par sa géographie, se retrouve au croisement des routes maritimes, des intérêts stratégiques et des flux de données. Au centre de cette montée en puissance, une figure revient régulièrement dans les discours officiels, les forums spécialisés et les annonces de réformes : Mariam Hamadou Ali, ministre déléguée chargée de l’Économie numérique et de l’Innovation.
En quatre ans, son portefeuille est devenu l’un des plus observés du gouvernement djiboutien. Il cristallise l’ambition, affichée au plus haut niveau de l’État, de faire de Djibouti un hub régional des technologies de l’information, de l’hébergement de données et des services numériques. Mais il concentre aussi des attentes sociales très concrètes : réduire la fracture d’accès à Internet, simplifier des démarches administratives souvent jugées lourdes, protéger les données et encadrer un espace numérique où la cybercriminalité progresse partout.
Qui est Mariam Hamadou Ali ? D’où vient cette responsable, longtemps associée aux politiques économiques et de planification, désormais identifiée comme l’un des visages d’une stratégie dite de “Smart Nation” ? Et comment son action s’inscrit-elle dans l’équilibre politique d’un pays qui se projette vers 2035, tout en affrontant des contraintes immédiates de coût, d’inclusion et de gouvernance ? Portrait et décryptage.
Une trajectoire de haute fonctionnaire avant l’entrée en politique
Le cas Mariam Hamadou Ali illustre un cheminement fréquent dans plusieurs États africains : celui d’une haute fonctionnaire issue des administrations économiques, appelée à exercer des responsabilités politiques quand l’exécutif décide de créer un portefeuille jugé prioritaire.
Selon des biographies diffusées dans des cadres institutionnels et professionnels, sa carrière débute au ministère de l’Économie et des Finances, qu’elle rejoint en 1997. Cette ancienneté n’est pas un détail : elle signale une familiarité avec l’appareil d’État, les arbitrages budgétaires et la mécanique de planification, loin de l’image parfois associée au numérique comme domaine réservé aux ingénieurs et aux start-up.
Avant son arrivée au gouvernement, Mariam Hamadou Ali est citée comme ayant occupé des fonctions liées à la stratégie économique nationale. Le Plan national de développement 2020-2024, intitulé “Djibouti ICI” (Inclusion, Connectivité, Institutions), la mentionne ainsi comme directrice de l’Économie et du Plan au ministère de l’Économie et des Finances au moment de l’élaboration du document. Dans les remerciements officiels de ce plan, son nom apparaît aux côtés du ministre de l’Économie et des Finances, comme responsable de la direction qui a piloté le travail d’équipe et coordonné la production du texte.
Cette expérience de planification éclaire une partie de son positionnement public : plutôt que de présenter le numérique comme un secteur isolé, Mariam Hamadou Ali tend à le relier à des objectifs transversaux — inclusion sociale et financière, modernisation administrative, attractivité des investissements, développement du capital humain. Dans ses interventions, l’économie numérique est décrite comme un instrument de transformation multi-sectorielle : éducation, santé, gouvernance, services aux entreprises, formation professionnelle.
Ce profil de “technicienne devenue politique” se retrouve également dans la manière dont elle est décrite par certains médias : une responsable arrivée au gouvernement sans s’inscrire, à l’origine, dans une trajectoire politique classique, mais appelée à porter un dossier prioritaire. Dans les pays où la réforme de l’État passe par des “ministères-projets”, ce type de nomination sert souvent à envoyer un signal : la transformation recherchée ne sera pas seulement déclarative, elle devra s’appuyer sur des méthodes de planification, des feuilles de route et des mécanismes d’exécution.
Autre élément structurant : Djibouti s’est doté d’objectifs stratégiques à long terme, notamment la “Vision 2035”. Dans les discours liés au numérique, cette échéance revient constamment. Elle encadre l’action de Mariam Hamadou Ali en lui donnant une colonne vertébrale politique : il ne s’agit pas seulement de connecter davantage, mais de faire du numérique un pilier d’un modèle économique plus diversifié, “au-delà des ports”, dans un pays longtemps identifié d’abord par ses infrastructures logistiques.
Un ministère créé en 2021 et une prise de fonction dans un contexte de bascule
La visibilité de Mariam Hamadou Ali est indissociable d’une décision institutionnelle : la création d’un ministère dédié à l’Économie numérique et à l’Innovation, conçu comme une “originalité” dans l’architecture gouvernementale nationale. Mariam Hamadou Ali a été nommée, en mai 2021, à la tête de ce portefeuille nouvellement créé, sous la forme d’un ministère délégué chargé de l’Économie numérique et de l’Innovation.
Dans la liste officielle de la composition du gouvernement publiée par la Présidence de la République de Djibouti, elle apparaît comme ministre déléguée chargée de l’Économie numérique et de l’Innovation. Cette inscription dans l’organigramme officiel donne la mesure de la place accordée au sujet, au même rang que d’autres portefeuilles stratégiques, même si le statut de “ministre déléguée” indique aussi une articulation avec d’autres ministères (télécommunications, intérieur pour la cybersécurité, justice pour les infractions numériques, commerce pour l’e-commerce), tant le numérique déborde sur plusieurs champs.
Le contexte de cette création est celui d’une double réalité. D’un côté, Djibouti dispose d’un atout souvent mis en avant : sa connectivité internationale, portée par de nombreux câbles sous-marins arrivant sur ses côtes. La ministre évoque, dans un entretien, l’existence de 14 câbles sous-marins, élément récurrent dans l’argumentaire consistant à faire de Djibouti un carrefour numérique régional.
De l’autre, la connectivité “domestique” et l’accès effectif des ménages restent des enjeux. Dans le même entretien, Mariam Hamadou Ali cite une étude de Djibouti Télécom menée en 2018 : au niveau national, 57,7 % des ménages déclaraient avoir eu accès à Internet au cours des trois mois précédant l’enquête, avec de fortes disparités entre urbain et rural. Les chiffres donnés — 71,3 % en milieu urbain et 0,7 % en milieu rural — illustrent un défi classique : la “puissance de transit” internationale ne garantit pas l’inclusion nationale.
C’est précisément sur ce point que le portefeuille de Mariam Hamadou Ali prend une dimension politique : réduire la fracture numérique, transformer l’avantage géographique en services concrets pour les citoyens, et faire en sorte que la connectivité serve à l’administration, aux entreprises et à l’éducation, plutôt qu’à la seule logique d’infrastructure.
Dans plusieurs prises de parole, la ministre associe ce travail à des objectifs de réforme : dématérialisation des procédures, amélioration de l’accès aux services publics, et construction d’une souveraineté numérique fondée sur des stratégies de cybersécurité et de protection des données, avec des institutions dédiées.
Le ministère s’affiche ainsi comme un ministère de transformation, plus qu’un simple acteur de régulation. Dans les discours officiels, l’idée d’une “politique nationale de l’économie numérique” et d’un “schéma directeur de la transformation numérique” est mise en avant, comme si l’enjeu était moins de multiplier les projets que de structurer un cadre cohérent, susceptible de durer au-delà des annonces.
Smart Nation : une stratégie à grande échelle, entre ambition et méthode
Le terme “Smart Nation” est devenu, à Djibouti, un slogan autant qu’un cadre de programmation. Il est associé à une feuille de route, adoptée au niveau gouvernemental, qui vise à organiser la transformation numérique autour de piliers, d’axes transversaux et d’un financement identifié. Mariam Hamadou Ali est l’une des principales porteuses de cette feuille de route, présentée comme alignée sur la Vision 2035 et sur le plan national “Djibouti ICI”.
En novembre 2023, une table ronde consacrée au financement de la feuille de route “Smart Nation” a été organisée, signe que l’enjeu n’est pas seulement stratégique mais budgétaire : il faut convaincre des partenaires, mobiliser des bailleurs, et traduire l’ambition en projets finançables. Les comptes rendus publiés à cette occasion insistent sur des axes transversaux tels que le renforcement du cadre légal, la souveraineté numérique, l’excellence des compétences numériques et l’expansion des infrastructures de connectivité.
Un autre chiffre, régulièrement cité dans des publications économiques spécialisées, donne une idée de l’échelle revendiquée : le programme “Djibouti Smart Nation” compterait 150 projets, pour un investissement total annoncé de 850 millions de dollars. Ce volume indique une stratégie de portefeuille, où la transformation numérique est pensée en grappes de projets couvrant plusieurs secteurs : administration, data centers, services numériques, formation, innovation, etc.
Mais une feuille de route de cette taille pose une question centrale : comment passer de l’énoncé à l’exécution ? C’est là que le profil de Mariam Hamadou Ali, associée à la planification et à l’élaboration de documents stratégiques, prend une valeur particulière. Les stratégies de transformation échouent souvent sur l’écueil de la coordination inter-ministérielle, de la continuité et de la mesure d’impact. Or, le numérique traverse la justice, l’intérieur, les télécoms, le commerce et l’éducation. Cela signifie que la ministre doit autant convaincre que coordonner : obtenir des arbitrages, éviter les chevauchements, et créer des mécanismes de gouvernance projet.
Dans ses interventions, la ministre insiste souvent sur la réduction de la fracture numérique et sur la nécessité d’un Internet “de qualité et à un prix abordable”. Elle évoque aussi des réformes structurelles, comme l’ouverture du capital de l’opérateur historique Djibouti Télécom, présentée comme une voie possible pour renforcer la concurrence au bénéfice du consommateur. Dans le paysage djiboutien, où l’accès et les prix sont des sujets sensibles, ce type de mesure relève d’un choix politique autant qu’économique.
À ce stade, l’équation est délicate : Djibouti peut se présenter comme un nœud de connectivité mondiale, mais l’acceptabilité sociale de la stratégie dépendra de la manière dont l’accès domestique s’améliore, notamment hors de la capitale. Le discours sur les câbles, souvent spectaculaire, doit donc être complété par des politiques de “dernier kilomètre” et par une logique de services publics numériques réellement utilisables.
Inclusion, compétences et entrepreneuriat : la promesse d’un numérique utile
L’un des marqueurs de l’action de Mariam Hamadou Ali est la place accordée aux compétences, à la jeunesse et à l’écosystème entrepreneurial. Dans les stratégies de transformation numérique, l’infrastructure n’est qu’un début : sans capital humain, sans développeurs, sans administrateurs de systèmes, sans culture de cybersécurité, l’État se retrouve dépendant de prestataires externes, et l’économie numérique peine à créer de la valeur localement.
Plusieurs initiatives mises en avant dans l’espace public vont dans ce sens. Parmi elles, la création annoncée d’une école dédiée au code et à l’informatique, le Djibouti Code Campus, présentée comme un levier de formation et un outil de montée en compétence rapide. La signature des statuts officialisant cette école a eu lieu sous le patronage de la ministre, signe d’un investissement politique direct dans la construction d’un vivier de talents.
Le financement et les outils dédiés à l’entrepreneuriat apparaissent également dans l’agenda. En octobre 2022, le ministère et le Fonds souverain de Djibouti ont lancé un projet autour du crowdfunding, présenté comme une manière d’élargir l’accès au financement pour les entrepreneurs, dans un esprit aligné sur la stratégie “Djibouti ICI”. Le message est clair : la transformation numérique doit produire des instruments financiers et des canaux alternatifs, capables d’accompagner des porteurs de projets souvent exclus des circuits classiques.
Cette dimension “start-up” est renforcée par la participation de Djibouti à des cadres de coopération comme l’Organisation de la coopération numérique, où des programmes liés à l’entrepreneuriat, à l’intelligence artificielle ou à la facilitation de l’implantation de start-up sont mis en avant. Dans une réunion de l’organisation, la ministre a évoqué l’ambition de porter un “Passeport Startup” au niveau des États membres, et l’existence d’un guide destiné aux investisseurs et start-up étrangers souhaitant s’installer à Djibouti, ce qui traduit une volonté d’attractivité structurée.
Mais l’inclusion ne se limite pas aux entrepreneurs. Dans ses discours, Mariam Hamadou Ali insiste aussi sur l’implication des citoyens et de la société civile dans le processus de transformation numérique, ainsi que sur l’accès des femmes et des jeunes aux opportunités du digital. Ce positionnement, qui associe parité et transformation numérique, reflète une lecture politique du numérique : le digital n’est pas seulement un secteur, il est aussi une politique publique qui peut réduire ou aggraver les inégalités selon la manière dont il est déployé.
À cela s’ajoute l’usage croissant de la dématérialisation comme outil de simplification administrative : permis électroniques, systèmes de “e-cabinet”, procédures en ligne. Dans les pays où la bureaucratie est perçue comme un frein à l’investissement, les plateformes numériques ont une valeur politique : elles incarnent la réforme et permettent d’afficher des gains de transparence et de rapidité, à condition d’être effectivement utilisées et accessibles.
L’autre face de cette promesse, toutefois, est la dépendance à la qualité du service : si les démarches en ligne ne fonctionnent pas, ou si elles restent réservées à une minorité connectée, la frustration peut augmenter. Le défi d’un numérique utile est donc autant technique que social, et c’est ici que la question de l’accès abordable et de l’éducation numérique devient cruciale.
Souveraineté numérique, diplomatie technologique et défis de la cybersécurité
Le numérique est devenu une matière diplomatique. Dans la Corne de l’Afrique, région marquée par des rivalités, des enjeux de sécurité et des dépendances énergétiques, la donnée et la connectivité s’inscrivent désormais dans la stratégie internationale. Mariam Hamadou Ali intervient régulièrement dans ce champ, à la croisée des partenariats et de la souveraineté.
Les échanges avec l’Union européenne illustrent cette dimension. Des discussions ont porté sur une coopération destinée à accélérer la transformation numérique, en cohérence avec des stratégies d’investissement et des projets concrets : systèmes de permis électroniques, e-cabinet, cybersécurité, formation aux compétences numériques. Dans ce type d’agenda, la coopération n’est pas neutre : elle implique des choix de normes, d’architectures, de prestataires et, in fine, de souveraineté.
Cette souveraineté est également évoquée à travers la cybersécurité et la protection des données. Dans un discours publié lors d’une conférence nationale sur l’intelligence artificielle et la science des données, la ministre affirme s’être attelée, dès sa nomination, à l’élaboration d’une politique nationale de l’économie numérique et d’un schéma directeur de la transformation numérique. Elle situe l’intelligence artificielle dans une perspective à la fois technologique, économique, sociale et éthique, assumant ainsi une approche politique du sujet.
À Djibouti, l’argument de la souveraineté numérique est aussi lié à l’infrastructure régionale et aux data centers. Le pays met en avant son rôle d’accueil d’infrastructures de données et son ambition de devenir une plateforme de relais des télécommunications en Afrique. Cette orientation se traduit par des initiatives visant à attirer des investissements dans les centres de données, présentés comme nécessaires pour servir les besoins locaux mais aussi régionaux et internationaux.
La stratégie de “Smart Africa” offre un autre exemple de cette articulation entre coopération et souveraineté. Djibouti a accueilli des initiatives liées à la formation numérique, comme une académie digitale, et a affiché sa volonté de jouer un rôle moteur dans l’amélioration de la connectivité en Afrique. Dans une audience officielle mentionnée par la diplomatie djiboutienne, Mariam Hamadou Ali a pris part à des échanges autour de Smart Africa, indiquant que son portefeuille est aussi impliqué dans la dimension continentale de la connectivité et des compétences.
Le défi majeur, toutefois, reste l’encadrement juridique et la lutte contre les usages malveillants. La cybersécurité devient un impératif pour des États qui numérisent leurs services. L’adoption ou l’élaboration d’un cadre législatif dédié, souvent regroupé sous l’idée d’un “code du numérique”, est généralement présentée comme une étape de maturité : elle définit les responsabilités, les infractions, les mécanismes de preuve, la protection des données et les obligations des acteurs.
Dans ce domaine, la communication autour de réformes et d’adoption de textes souligne l’importance accordée au cadre légal. Mais la mise en œuvre est un chantier permanent : former des magistrats et des policiers à la cybercriminalité, mettre en place des équipes de réponse, protéger les infrastructures critiques, sensibiliser les administrations et les entreprises. Pour un ministère chargé de l’économie numérique et de l’innovation, la cybersécurité devient alors le socle silencieux sans lequel la transformation ne tient pas.
Enfin, la diplomatie technologique ne se joue pas uniquement entre États. La ministre apparaît aussi dans des événements internationaux, des forums économiques et des rencontres avec des acteurs du secteur. Même des visites institutionnelles, comme une visite mentionnée dans des archives internationales, témoignent d’un effort de visibilité : se positionner, attirer, négocier et inscrire Djibouti dans des réseaux où se décident les standards et les investissements.
Au total, Mariam Hamadou Ali incarne une fonction devenue stratégique : elle doit concilier ambition et réalisme, souveraineté et coopération, modernisation et inclusion. Dans un pays où l’avantage géographique peut faire illusion, son ministère est attendu sur les résultats concrets : la qualité de l’accès, la simplification des démarches, l’émergence d’un tissu entrepreneurial, la protection des données et la construction d’un capital humain numérique.
Son parcours, venu de l’économie et de la planification, est peut-être un indice : pour Djibouti, le numérique n’est pas un simple secteur d’avenir, c’est un projet d’État, qui exige méthode, gouvernance et continuité. Reste la question la plus politique : la transformation numérique, si elle réussit, produira-t-elle une croissance plus inclusive, ou renforcera-t-elle les écarts entre ceux qui sont connectés, formés et intégrés aux services, et ceux qui restent au bord du réseau ? C’est là que se jouera, au-delà des câbles et des annonces, la portée réelle de cette “Smart Nation” dont Mariam Hamadou Ali est devenue l’un des symboles.



