Qui est Mekdes Daba ?

À Addis-Abeba, le 8 février 2024, une nomination a retenu l’attention bien au-delà des cercles médicaux. Le Parlement éthiopien a approuvé, à l’unanimité, la désignation de la docteure Mekdes Daba au poste de ministre de la Santé, sur proposition du Premier ministre Abiy Ahmed. À l’heure où le pays, deuxième plus peuplé d’Afrique, affronte des défis sanitaires structurants, l’arrivée d’une spécialiste reconnue de l’obstétrique, de la gynécologie et de la santé reproductive a été perçue comme un signal : celui d’une volonté de confier un portefeuille social majeur à une professionnelle issue du terrain, familière des institutions internationales, et déjà engagée dans des responsabilités de gouvernance.

Mais qui est exactement Mekdes Daba ? Derrière le titre ministériel, il y a un parcours atypique, à cheval entre médecine, enseignement, management public, réseaux régionaux et diplomatie sanitaire. Il y a aussi une trajectoire emblématique d’un phénomène plus large : la montée en responsabilité de profils technocratiques, souvent formés aux interfaces entre États et organisations globales, appelés à piloter des politiques publiques dans des contextes fragiles. En Éthiopie, où la santé maternelle, la vaccination, l’accès aux soins primaires et la gestion des crises sanitaires s’entremêlent à des enjeux de financement, de sécurité et d’équité territoriale, le visage de la ministre devient un indicateur de cap autant qu’un symbole.

Une nomination politique, validée par le Parlement, dans un moment de recomposition gouvernementale

La nomination de Mekdes Daba intervient dans un cadre institutionnel précis. En février 2024, la Chambre des représentants du peuple, principale assemblée fédérale, approuve sa désignation comme ministre de la Santé. Dans la communication officielle, l’accent est mis sur la procédure parlementaire et sur la validation unanime, signe d’une volonté d’afficher un consensus sur un poste traditionnellement considéré comme stratégique et relativement transpartisan : la santé, au croisement des priorités sociales et de la stabilité nationale.

La succession est également significative. Mekdes Daba prend la suite de Lia Tadesse, qui a occupé le portefeuille de la Santé durant une période marquée par de fortes tensions, la pression des urgences sanitaires et la nécessité de maintenir des services essentiels dans des régions confrontées à l’instabilité. Le passage de témoin a valeur de test : l’opinion, les partenaires internationaux et l’administration attendent d’un nouveau ministre qu’il combine continuité des programmes, capacité de réforme et aptitude à dialoguer avec des acteurs multiples, des autorités régionales aux bailleurs.

Dans le cas de Mekdes Daba, le pouvoir exécutif ne choisit pas une figure partisane de premier plan, mais une spécialiste dont la légitimité vient d’abord du secteur de la santé. Cette option traduit un pari politique : renforcer l’efficacité et la crédibilité d’un ministère exposé, en s’appuyant sur un profil doté à la fois d’une expertise clinique, d’une expérience de gestion et d’une familiarité avec les cadres de gouvernance sanitaire mondiale.

La dimension politique ne disparaît pas pour autant. En Éthiopie, la santé est un terrain où se jouent des arbitrages budgétaires, des rapports centre-régions, des priorités sociales, et des engagements internationaux. La ministre incarne donc une ligne : comment concilier l’ambition de couverture sanitaire, la réponse aux vulnérabilités, et la contrainte de ressources dans un pays vaste, inégal et en transformation.

Un parcours médical et académique construit autour de la santé des femmes et des politiques de reproduction

Avant d’entrer au gouvernement, Mekdes Daba s’est d’abord imposée comme médecin spécialiste. Son itinéraire universitaire suit une logique de montée en compétence : formation médicale initiale à l’université de Hawassa, spécialisation en obstétrique et gynécologie à l’université d’Addis-Abeba, puis approfondissement dans le champ de la planification familiale et de la santé reproductive via un parcours de fellowship à St Paul’s Hospital Millennium Medical College. Ce socle, au cœur des enjeux de mortalité maternelle et néonatale, est souvent présenté comme une clé de lecture de sa future action ministérielle : elle connaît la réalité des maternités, la chaîne de soins, les urgences obstétricales, mais aussi les dimensions plus larges des droits en santé reproductive.

Un élément revient régulièrement dans les biographies publiques : Mekdes Daba est décrite comme la première femme en Éthiopie à avoir atteint un niveau de sous-spécialisation en planification familiale et santé reproductive. Dans un pays où les parcours de surspécialisation médicale restent rares, et où la médecine de haut niveau demeure concentrée dans quelques pôles urbains, cette singularité pèse symboliquement. Elle renvoie à un double enjeu : la montée en compétence du système de formation médicale, et la place des femmes dans les carrières scientifiques et de leadership.

Son profil n’est pas seulement clinique. Elle a également été associée au monde académique, notamment comme enseignante-chercheuse et responsable de structures universitaires. Les présentations institutionnelles la décrivent comme ayant occupé des postes de direction au sein de l’université de Hawassa, y compris à la tête d’unités liées à la médecine et au département d’obstétrique et gynécologie. Autrement dit, elle a fait l’expérience, très concrète, des contraintes d’un système où l’on doit à la fois soigner, former, organiser des services, et faire progresser la qualité des pratiques.

Ce type de trajectoire est souvent déterminant pour un futur ministre : la capacité à comprendre les besoins d’un hôpital, les logiques de carrière des soignants, ou encore les difficultés de gestion d’un service de santé ne s’apprend pas uniquement dans des notes de cabinet. Dans un pays où les pénuries de personnels qualifiés, les écarts territoriaux et les contraintes de chaîne d’approvisionnement pèsent lourd, une ministre issue du monde médical arrive avec des réflexes d’opérationnel : la gestion des urgences, l’arbitrage entre priorités, la culture de protocole.

De l’expertise nationale aux réseaux internationaux : OMS, gouvernance vaccinale et diplomatie sanitaire

L’un des marqueurs de Mekdes Daba est son insertion dans les arènes internationales. Avant sa nomination au gouvernement, elle a exercé à Genève au siège de l’Organisation mondiale de la Santé, où elle a été présentée comme cheffe d’équipe au sein du bureau du directeur général adjoint. Elle a également été associée à des fonctions techniques au sein de départements liés à la santé sexuelle et reproductive et à la recherche, toujours au niveau du siège.

Dans un paysage global où les politiques de santé se négocient souvent à l’intersection d’États, d’agences onusiennes, de coalitions de financement et d’initiatives internationales, cette expérience est un atout évident. Elle confère une connaissance fine des circuits : comment se construit un programme, comment s’évalue une stratégie, comment se défendent des priorités, comment se négocie une enveloppe de soutien. C’est aussi une familiarité avec le langage de la redevabilité, de l’évidence scientifique, et des indicateurs, désormais omniprésents dans la conduite des politiques publiques.

Cette dimension se retrouve dans sa participation à des instances de gouvernance. Mekdes Daba apparaît, par exemple, comme membre au sein du conseil d’administration de Gavi, l’Alliance du vaccin, au titre de sa fonction ministérielle. Sa biographie publique dans ce cadre insiste sur son expérience clinique et académique, mais aussi sur son engagement en faveur de la couverture sanitaire universelle, de l’égalité de genre, de la participation communautaire et des services essentiels, notamment la vaccination. La santé, ici, n’est plus seulement un service national : elle devient une question de souveraineté sanitaire, d’accès équitable aux outils médicaux et de capacité à résister aux chocs.

Le registre diplomatique est encore plus visible lorsqu’elle prend la parole dans des forums multilatéraux. En septembre 2025, des éléments de discours la présentent s’exprimant dans le cadre d’une réunion conjointe de ministres de la santé des régions africaine et caribéenne, accueillie par l’Éthiopie, avec une insistance sur la coopération Sud-Sud, le renforcement des soins de santé primaires, la mobilisation de financements durables et la préparation aux crises sanitaires. Cette approche traduit une stratégie : inscrire l’Éthiopie dans des coalitions régionales, valoriser l’innovation communautaire, plaider pour des réformes de financement, et replacer la santé au centre du développement.

Pour un pays comme l’Éthiopie, l’enjeu est crucial. L’architecture du financement sanitaire a longtemps reposé sur une combinaison de budget public, de dépenses directes des ménages et de contributions externes. Les arbitrages dans ce système déterminent l’accès aux soins, la résilience face aux épidémies, et la capacité à maintenir des services essentiels. Une ministre ayant navigué dans les institutions globales sait que les politiques de santé se jouent aussi sur la scène des partenariats et des priorités internationales.

Un ministère à haute intensité : santé maternelle, vaccins, soins primaires et systèmes fragilisés

Prendre les rênes du ministère de la Santé en Éthiopie, c’est hériter d’un portefeuille où les enjeux sont à la fois immenses et très concrets. Les indicateurs de santé y révèlent des progrès de long terme, mais aussi des fragilités persistantes. La question de la mortalité maternelle reste centrale dans le débat public et dans les politiques : elle cristallise l’accès à des soins obstétricaux d’urgence, la qualité du suivi prénatal, la disponibilité des sages-femmes et médecins, la gestion des hémorragies et complications, et l’accès à la planification familiale. À l’échelle internationale, les données comparables indiquent que la mortalité maternelle demeure un enjeu majeur pour le pays, malgré des améliorations sur plusieurs décennies.

La vaccination et la santé de l’enfant constituent un autre front. L’Éthiopie a investi depuis longtemps dans des programmes de soins primaires, mais la couverture vaccinale, sensible aux crises, aux ruptures logistiques et aux inégalités territoriales, exige une attention constante. Les estimations internationales sur la couverture de routine sont souvent utilisées pour suivre les performances et identifier les zones de rattrapage. Dans un contexte post-pandémique où de nombreux pays ont observé des perturbations de services, les ministres de la santé se retrouvent en première ligne pour relancer les campagnes, sécuriser les stocks, renforcer les systèmes d’information et convaincre les populations.

Le troisième axe est celui de la structuration des soins de santé primaires. L’Éthiopie est fréquemment citée pour son Health Extension Program, lancé en 2003, qui repose sur le déploiement d’agentes et agents de santé communautaires, avec une forte composante féminine, visant à rapprocher la prévention, l’éducation sanitaire et certains services de base des ménages, notamment en zones rurales. Ce programme, analysé par de nombreuses institutions, a contribué à transformer l’accès aux services essentiels, même si sa mise en œuvre fait face à des défis de motivation, de formation, de supervision et de conditions de travail. Pour une ministre de la Santé, la question n’est pas seulement de préserver ce modèle, mais de le moderniser, de l’adapter aux nouveaux défis, et de l’articuler à l’hôpital et à la référence spécialisée.

Le quatrième axe est celui du système lui-même : financement, chaîne d’approvisionnement, ressources humaines, gouvernance fédérale. La dépense de santé, mesurée en pourcentage du PIB, donne une indication macroéconomique mais ne résume pas les tensions quotidiennes : disponibilité des médicaments, accès à l’oxygène médical, maintenance des équipements, capacité de laboratoire, transport sanitaire, gestion des données. Dans un pays fédéral, la coordination entre le niveau national et les régions est décisive, surtout lorsqu’il s’agit de gérer une alerte épidémique ou d’organiser une campagne de masse.

Enfin, un ministère de la Santé doit composer avec les crises sanitaires récurrentes et les risques émergents. Les épidémies, les urgences humanitaires, les catastrophes climatiques ou les mouvements de population mettent à l’épreuve la continuité des soins. La réponse ne relève pas uniquement de la médecine : elle suppose une logistique robuste, une communication publique crédible et une capacité de coordination intersectorielle.

Dans cet environnement, l’arrivée d’une ministre issue de la santé reproductive, familiarisée avec l’OMS et engagée dans des réseaux de vaccination et de santé des femmes, fait émerger une hypothèse de gouvernance : renforcer les services essentiels, consolider la prévention, et s’appuyer sur les données pour orienter les priorités. Le défi, lui, reste celui de l’exécution : transformer les orientations en services tangibles pour les familles, en particulier dans les zones les plus éloignées.

Une figure féminine à portée symbolique, entre expertise, attentes sociales et projection régionale

La trajectoire de Mekdes Daba se situe aussi au croisement d’attentes sociales. Dans de nombreux pays, le ministère de la Santé est l’un des rares postes où l’expertise technique peut être un ressort de légitimité aussi fort que l’ancrage partisan. Mais la question du genre demeure un marqueur politique. Une femme ministre de la Santé, spécialiste de la santé reproductive, porte inévitablement une charge symbolique : celle d’une promesse de priorité aux femmes, aux enfants, à la prévention, à la planification familiale, à la lutte contre les inégalités d’accès. Dans le cas éthiopien, où les écarts entre zones urbaines et rurales sont déterminants, le symbole se mesure à l’aune du concret : une maternité équipée, une sage-femme formée, un centre de santé approvisionné, un vaccin disponible.

Son parcours montre également une articulation entre leadership national et projection régionale. Les biographies publiques la décrivent impliquée dans des organisations professionnelles, des collèges régionaux d’obstétrique et gynécologie, des groupes consultatifs techniques, ainsi que dans des espaces de dialogue sur les droits des femmes. Ce type d’engagement contribue à faire d’une ministre non seulement une gestionnaire, mais aussi une porte-parole sur des sujets où la santé croise l’éducation, l’égalité et la protection sociale.

Dans les prises de parole multilatérales qui lui sont attribuées, on retrouve un vocabulaire devenu central depuis la pandémie : souveraineté sanitaire, accès équitable, préparation, financement durable, renforcement des soins primaires, innovations communautaires. Ces thèmes ne sont pas abstraits : ils reflètent une lecture du monde où la santé est un pilier de sécurité et de développement, et où les pays du Sud cherchent à peser davantage dans la gouvernance mondiale, notamment sur les vaccins, les technologies, et la production pharmaceutique.

Mais être une figure symbolique ne suffit pas. Le champ de la santé impose des résultats mesurables. Les populations jugent sur la disponibilité des services, le coût des soins, l’accueil dans les structures, la continuité des traitements, la capacité à prévenir les décès évitables. Les partenaires évaluent la qualité de la gouvernance, la transparence, l’efficacité de l’exécution, la cohérence des stratégies. Et l’appareil d’État attend une ministre qu’elle arbitre, qu’elle coordonne, qu’elle mobilise et qu’elle tienne, malgré les chocs.

En somme, Mekdes Daba apparaît comme une ministre technocrate, au profil internationalisé, dont la crédibilité s’est construite dans le soin et dans la santé des femmes, et qui hérite d’un portefeuille où l’action publique se joue à la fois dans les villages, les hôpitaux, les laboratoires, les budgets, et les enceintes diplomatiques. À ce titre, sa trajectoire raconte quelque chose de l’Éthiopie contemporaine : un pays qui revendique des modèles de soins primaires, qui cherche à renforcer ses systèmes, et qui comprend que la santé, désormais, est une question de politique au sens plein du terme.

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