Bricovia.fr

Bricovia, l’arnaque ingénieuse de Ryan Gurdebecke

Ces derniers mois, une vague de sites frauduleux spécialisés dans la vente de désherbants a envahi le web francophone. Profitant d’une réglementation floue, d’une demande saisonnière accrue et de la méconnaissance des consommateurs en matière de produits phytosanitaires, ces plateformes usurpent l’identité de marques connues ou inventent de toutes pièces des enseignes aux noms rassurants. Le dernier en date : Bricovia.fr.

À première vue, Bricovia ressemble à n’importe quelle boutique en ligne de jardinage. On y retrouve des offres attractives sur du bois de chauffage, des granulés bois, et surtout, une gamme étonnamment large de désherbants contenant du glyphosate : ROUNDUP, Radikal, Adama, Barbarian… Tous les noms y passent. Les prix sont parfois cassés, jusqu’à 70 euros de réduction affichés. Trop beau pour être vrai ? C’est exactement ce que nos experts en OSINT (renseignement en sources ouvertes) ont découvert.

Bricovia.fr : un site sans existence légale

Notre enquête révèle que Bricovia.fr est un site frauduleux. Aucun numéro SIRET. Aucune entreprise enregistrée au RCS (Registre du Commerce et des Sociétés). Aucune mention légale valide. Aucun numéro de téléphone actif. L’adresse postale est absente ou fictive, et les mentions légales (si elles existent) relèvent du copié-collé.

Pire encore : les commandes ne sont jamais expédiées. Plusieurs témoignages concordants recueillis sur des forums de consommateurs et via notre cellule de veille indiquent que les clients sont débités puis laissés sans nouvelles. Pas de suivi colis, pas de réponse aux mails, pas de remboursement. L’objectif : encaisser le plus possible avant de disparaître.

Qui se cache derrière Bricovia ? Ryan Gurdebecke, 27 ans, déjà connu des services

Nos investigations nous ont permis de remonter la trace numérique laissée par le créateur du site. Derrière Bricovia.fr se cache Ryan Gurdebecke, un jeune homme de 27 ans, de nationalité française. Une enquête approfondie de L’Écho du Sud, croisant les données WHOIS, les adresses IP, les traces de réseaux sociaux, les alias utilisés dans d’autres arnaques, nous permet de l’identifier formellement.

Ryan Gurdebecke n’en est pas à son coup d’essai. En 2023, il avait tenté de lancer une société nommée Auto Luxury Cars 77, spécialisée dans l’import de véhicules de luxe. L’entreprise avait été domiciliée à une boîte postale, tentant ainsi de masquer l’adresse réelle du fondateur. L’affaire avait tourné court, sans doute faute de rentabilité. Depuis, Ryan semble avoir trouvé un filon plus lucratif : l’escroquerie numérique.

Nos équipes ont pu confirmer son adresse personnelle actuelle : 11 Rue Paul Bert, 92400 Courbevoie. Son adresse e-mail associée aux différentes inscriptions liées aux sites frauduleux : [email protected].

Une stratégie bien rodée : usurpation, produits populaires et identité floue

Le mode opératoire de Ryan Gurdebecke semble s’inspirer de techniques déjà bien établies dans les sphères de la cyberfraude.

  • Des produits grand public à forte demande : désherbants au glyphosate, bois de chauffage, granulés pour poêle à bois – tous ces articles sont très recherchés, surtout en automne et au printemps. Ce sont aussi des produits techniques, que l’on n’achète pas tous les jours, et dont le prix élevé permet de crédibiliser la fraude.
  • Une vitrine professionnelle : les photos des produits sont souvent issues de banques d’images ou de sites concurrents. Le design du site est propre, moderne, avec un système de paiement par carte bancaire bien intégré.
  • Une identité fantôme : aucune entreprise derrière le site, aucun numéro valide. Les coordonnées sont falsifiées. L’absence de SIRET ne dissuade pas toujours les consommateurs peu vigilants.
  • Des paiements sécurisés (en apparence) : Stripe, PayPlug, ou d’autres services de paiement sont parfois usurpés pour mettre en confiance l’acheteur.
  • Une durée de vie limitée : ces sites sont conçus pour fonctionner quelques semaines, encaisser un maximum d’argent, puis disparaître ou changer de nom de domaine.

Un écosystème d’arnaques en expansion : Sofra Jardin, Herbigreen, Plantaservice

Bricovia n’est pas un cas isolé. En croisant les données issues de forums de victimes, de plateformes comme Signal-Arnaques, de WHOIS anonymisés et d’enquêtes précédentes, L’Écho du Sud a identifié plusieurs autres plateformes frauduleuses ayant des liens techniques ou organisationnels avec Bricovia :

  • Sofra Jardin et Herbigreen : deux faux sites de vente de désherbants, dont les produits et mises en page sont quasiment identiques à Bricovia. Ces sites ont été associés à Mohamed Baccar, autre individu impliqué dans la création de plateformes d’arnaque.
  • Plantaservice : une fausse boutique en ligne mise en place par Ayoub Bouaoun, selon nos sources. Là encore, même modèle : encaissement, aucune livraison, disparition rapide.

Ces sites, tous très récents, partagent une logique commune : faire de l’argent vite, en vendant des produits illégaux ou contrefaits, sans existence juridique réelle.

Que risquent les auteurs ? Et quelles suites pour les victimes ?

En théorie, ces pratiques relèvent de l’escroquerie en bande organisée, de la vente de produits interdits, et de l’usurpation d’identité commerciale. Les peines encourues peuvent aller jusqu’à 7 ans de prison et 750 000 € d’amende, selon le Code pénal français (articles 313-1 et suivants). Mais en pratique, les poursuites sont complexes, longues, et exigent la constitution de dossiers solides.

Pour les victimes, il existe cependant des recours :

  1. Faire un signalement à la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes) via leur portail SignalConso.
  2. Déposer plainte au commissariat en fournissant un maximum de preuves : capture d’écran du site, preuve de paiement, mails échangés.
  3. Faire opposition auprès de votre banque, afin de tenter un remboursement via le mécanisme de chargeback (notamment si la transaction a été réalisée par carte bancaire).
  4. Témoigner publiquement, notamment sur des plateformes comme Signal-Arnaques, pour éviter que d’autres ne tombent dans le piège.

Une vigilance accrue nécessaire face à ces arnaques 2.0

Le cas Bricovia.fr illustre une réalité inquiétante : la facilité avec laquelle des escrocs peuvent mettre en place des boutiques en ligne fictives, en toute impunité. Avec quelques centaines d’euros, il est aujourd’hui possible de créer un site e-commerce “crédible”, d’acheter un nom de domaine, de falsifier des mentions légales, et de récolter des milliers d’euros en quelques jours.

Le manque de vigilance des plateformes d’hébergement, la lenteur des procédures judiciaires, et la complexité des enquêtes en ligne jouent en faveur de ces fraudeurs.

Pour se prémunir, les consommateurs doivent adopter certains réflexes :

  • Toujours vérifier l’existence de l’entreprise (SIRET, RCS).
  • Chercher des avis externes et les mentions légales complètes.
  • Se méfier des prix trop attractifs.
  • Privilégier les sites établis ou disposant d’un service client réactif.
  • Utiliser des moyens de paiement sécurisés avec protection acheteur.

L’Écho du Sud continuera de surveiller l’écosystème de ces arnaques numériques. Ryan Gurdebecke est désormais identifié, mais combien d’autres imitateurs sont déjà à l’œuvre ? Le secteur des produits de jardinage est devenu une cible de choix. Il est plus que jamais temps d’enquêter, d’alerter, et d’agir.

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