L’ascension de Gayton McKenzie au poste de ministre des Sports, des Arts et de la Culture en Afrique du Sud symbolise à la fois la capacité de réinvention individuelle et les tensions d’une démocratie encore travaillée par ses fractures sociales et politiques. Ancien braqueur, ex-chef de gang, dénonciateur de la corruption en prison, devenu homme d’affaires, auteur à succès et leader politique, il occupe depuis le 3 juillet 2024 le portefeuille chargé de soutenir le sport, de protéger le patrimoine culturel et d’accompagner les industries créatives dans le cadre du gouvernement d’union nationale formé autour du président Cyril Ramaphosa.
Son arrivée à la tête de ce ministère stratégique a suscité à la fois espoirs et inquiétudes. Pour certains, son parcours de « rédemption » et son langage direct en font un interlocuteur proche des milieux populaires, capable de bousculer une administration accusée de népotisme et de gaspillage. Pour d’autres, son passé criminel, les zones d’ombre de sa fortune et les controverses liées à son parti, la Patriotic Alliance, jettent un doute sur sa capacité à garantir une gouvernance transparente et inclusive.
Au moment où l’Afrique du Sud cherche à relancer une économie en difficulté, à apaiser des tensions xénophobes récurrentes et à redonner un élan à ses sportifs et artistes, la nomination de Gayton McKenzie à ce poste cristallise ainsi des enjeux qui dépassent sa trajectoire personnelle. Ce portrait revient sur les grandes étapes de sa vie, les ressorts de sa popularité, les critiques qu’il suscite et les défis qui l’attendent au ministère des Sports, des Arts et de la Culture.
Un parcours marqué par le crime, la prison et la dénonciation de la corruption
Gayton McKenzie naît le 10 mars 1974 à Heidedal, un quartier de Bloemfontein, dans la province de l’État libre, au cœur de l’Afrique du Sud de l’apartheid. Il grandit dans un environnement ségrégué et marqué par la pauvreté, un contexte qui revient souvent dans ses récits autobiographiques pour expliquer, sans l’excuser, sa plongée précoce dans la criminalité de rue.
Très jeune, il rejoint le milieu des gangs. Des témoignages et des articles de presse décrivent un parcours de braqueur de banques, de stations-service et de casinos, ainsi qu’un rôle de chef dans la puissante organisation criminelle connue sous le nom de gang des « 26 » au sein des prisons sud-africaines. Condamné pour vol à main armée, il est incarcéré pour une peine de 17 ans, dont il passera environ huit ans derrière les barreaux à partir de l’âge de 21 ans.
C’est en détention qu’un tournant décisif se produit. Avec d’autres détenus, McKenzie participe au début des années 2000 à une opération clandestine qui deviendra célèbre : un « exposé » tourné en secret à la prison de Grootvlei. Les images montrent des gardiens impliqués dans des actes de corruption, dans la circulation d’armes et de drogues, ainsi que dans la vente de faveurs à certains prisonniers. La diffusion de ces images choque l’opinion publique et met en lumière des conditions de détention et un niveau de corruption qui restaient jusque-là largement ignorés ou minimisés.
Ce scandale conduit à la mise sur pied ou au renforcement de la Commission d’enquête Jali sur la corruption et les abus au sein du département des services correctionnels. Dans ce contexte, McKenzie bénéficie d’une libération anticipée, présentée comme une forme de récompense pour son rôle de lanceur d’alerte. Certains analystes y voient un exemple de coopération réussie entre un détenu repenti et les autorités, d’autres soulignent déjà la manière dont cet épisode, très médiatisé, va servir de socle à la construction de son image publique de « repenti » devenu justicier.
À sa sortie de prison, il raconte à de nombreuses reprises le choc moral qu’aurait représenté pour lui la violence carcérale, notamment les violences sexuelles, et la prise de conscience progressive de ce qu’il faisait subir à ses victimes. Sans nier son passé criminel, il insiste sur l’idée de transformation personnelle, un récit qui sera au cœur de sa future carrière de conférencier et d’écrivain.
Businessman, auteur et conférencier : la construction d’une image de « self-made man »
Une fois libre, Gayton McKenzie s’engage dans ce qu’il présente comme une reconversion radicale. Il devient conférencier motivationnel et multiplie les interventions dans les écoles, les entreprises et les assemblées publiques, où il raconte sa trajectoire, met en garde contre la criminalité et défend l’idée d’une seconde chance pour les anciens détenus. Ce positionnement lui ouvre les portes du monde des affaires et de l’édition.
Son premier livre, The Choice: The Gayton McKenzie Story, rencontre un succès important en Afrique du Sud et se présente comme une biographie axée sur le choix entre la poursuite du crime et la décision de changer de vie. Ce succès sera suivi par d’autres ouvrages, notamment A Hustler’s Bible, The Uncomfortable Truth, A Hustler’s Bible: The New Testament ou encore Kill Zuma By Any Means Necessary, qui mêlent autobiographie, conseils de « réussite » en affaires et prises de position politiques parfois virulentes. Ces livres consolident son image d’homme qui parle « sans filtre » et maîtrisant les codes d’un certain discours entrepreneurial très présent dans l’Afrique du Sud post-apartheid.
Parallèlement, McKenzie investit dans plusieurs secteurs économiques : édition, divertissement, restauration, lounges, conseil et, surtout, industrie minière. Il se présente comme un entrepreneur prospère, capable de naviguer entre les réseaux politiques et économiques du pays. Des reportages et des enquêtes, notamment dans la presse sud-africaine, soulignent cependant que cette réussite s’accompagne de controverses, par exemple autour de deals miniers contestés ou de soupçons de favoritisme dans certains contrats.
Cette double identité – ancien criminel devenu entrepreneur et auteur à succès – lui donne une visibilité considérable. Dans les médias, il occupe une place singulière : invité de plateaux télévisés, sujet d’articles de magazines, figure récurrente des débats sur la criminalité, la corruption et l’ascension sociale des personnes issues des townships. Son alliance de discours moralisateur, d’attaques parfois frontales contre des adversaires politiques et de récits inspirants sur la « deuxième chance » contribue à bâtir un personnage public polarisant mais difficile à ignorer.
Cette période prépare son entrée officielle sur la scène politique. Les réseaux constitués dans les affaires, les médias et les milieux populaires, mais aussi dans certains cercles du crime organisé selon plusieurs enquêtes, fourniront plus tard une base de soutien à son parti politique, la Patriotic Alliance.
Patriotic Alliance et ascension politique : du Karoo au gouvernement d’union nationale
En 2013, Gayton McKenzie lance officiellement la Patriotic Alliance (PA) avec son proche allié et ami Kenny Kunene. Le parti se présente comme une formation centrée sur la défense des intérêts des communautés dites « coloured » et des classes populaires urbaines, tout en adoptant un discours dur sur la criminalité et les immigrés en situation irrégulière. McKenzie en devient le président, un poste qu’il occupe toujours plus d’une décennie plus tard.
La PA ne s’impose pas immédiatement comme un grand parti national, mais elle joue progressivement un rôle clé dans certaines coalitions locales. Les élus du parti deviennent des faiseurs de rois dans des conseils municipaux disputés, notamment dans la province du Cap-Occidental. À partir d’avril 2022, McKenzie est nommé maire exécutif du district de Central Karoo, fonction qu’il occupe jusqu’en mai 2023. Il est également conseiller municipal à Laingsburg sur la même période.
Son passage à la tête du district de Central Karoo est marqué par des annonces spectaculaires de réformes et de projets de développement, mais aussi par une affaire qui va durablement peser sur sa réputation. En 2022, une soirée de levée de fonds organisée à Sandton permet de récolter environ 3 millions de rands officiellement destinés à financer des projets de service public dans la région. Une partie de cet argent ne parvient cependant jamais sur le compte de la municipalité. Les autorités de contrôle et la presse s’interrogent sur le rôle des responsables politiques du district, dont McKenzie, et sur la destination réelle des fonds.
En 2023, un responsable juridique de la PA reconnaît que cette somme sera finalement traitée comme un don au parti politique et déclarée auprès de la commission électorale. En 2024, la Haute Cour du Cap-Ouest ordonne à McKenzie et à un cabinet d’avocats lié à cette affaire de remettre les documents pertinents aux enquêteurs chargés de vérifier d’éventuels faits de corruption. L’affaire n’est pas totalement close et constitue l’un des principaux dossiers qui entourent son nom au moment de sa nomination comme ministre.
En parallèle, des analyses relèvent l’existence de liens supposés ou réels entre la Patriotic Alliance et certains milieux de gangs dans le Cap-Occidental. Des articles évoquent notamment les relations du parti avec des figures du crime organisé, ainsi qu’un financement supposé par des personnes liées à un ancien chef de gang assassinée. McKenzie rejette ces accusations et met en avant son passé de chef de gang repenti pour affirmer qu’il est mieux placé que d’autres pour combattre la criminalité.
Malgré ces controverses, la Patriotic Alliance progresse sur la scène politique. Dans le contexte post-électoral de 2024, marqué par la perte de majorité absolue de l’African National Congress (ANC) au niveau national, la PA obtient des sièges au Parlement et devient l’un des acteurs du gouvernement d’union nationale formé autour du président Cyril Ramaphosa. McKenzie, entré à l’Assemblée nationale en juin 2024, est nommé quelques semaines plus tard ministre des Sports, des Arts et de la Culture.
À la tête des Sports, des Arts et de la Culture : promesses, gestes symboliques et premières décisions
Officiellement, le ministère des Sports, des Arts et de la Culture est confié à Gayton McKenzie à partir du 3 juillet 2024, en remplacement de Zizi Kodwa, démissionnaire début juin. La présidence et le département ministériel rappellent alors son parcours d’athlète prometteur dans sa jeunesse – notamment en course à pied – et insistent sur l’importance de rapprocher les politiques publiques des communautés locales.
Dès sa prise de fonctions, McKenzie adopte une communication très directe, utilisant massivement les réseaux sociaux pour rendre publics ses engagements et ses décisions. Il affirme vouloir mettre fin au financement jugé superflu de « super fans » envoyés à l’étranger pour soutenir des équipes nationales, en expliquant que l’argent doit d’abord servir aux athlètes et aux artistes qui peinent à financer leurs déplacements et leur préparation. Cette décision, confirmée publiquement en 2024, intervient après des critiques sur les sommes importantes dépensées pour des supporters vedettes lors de grandes compétitions, comme la Coupe du monde de rugby.
Il annonce également la publication d’une liste complète des bénéficiaires des fonds de soutien publics, notamment ceux alloués aux artistes pendant la pandémie de Covid-19. L’objectif, selon lui, est de répondre aux accusations récurrentes selon lesquelles les aides du ministère auraient tendance à profiter toujours aux mêmes personnes. La publication de ces listes, effectivement réalisée, est saluée par certains acteurs du secteur comme un pas vers davantage de transparence, tandis que d’autres s’inquiètent des risques de stigmatisation publique pour des bénéficiaires individuels.
Sur le plan symbolique, McKenzie promet de céder l’intégralité de son salaire de ministre à une fondation dédiée aux enfants disparus, la Joslin Smith Foundation, créée peu avant son entrée au gouvernement. Ce geste, présenté comme une preuve de son engagement philanthropique, suscite toutefois des interrogations : des observateurs remarquent qu’il s’agit d’un organisme fondé par lui-même, et la pertinence de ce montage est débattue dans les médias et au Parlement.
Il formule par ailleurs plusieurs annonces fortes en matière de politique sportive : soutien accru aux sports scolaires, coopération renforcée avec la fédération de football (SAFA) – à laquelle son ministère avance une somme importante pour l’organisation des compétitions –, incitations pour améliorer la préparation des athlètes en vue des Jeux olympiques, promesses de récompenses supplémentaires pour les médaillés, voire ambition affichée de ramener un Grand Prix de Formule 1 en Afrique du Sud. Ces propositions, étalées sur plusieurs mois, contribuent à entretenir une image de ministre énergique, mais leur mise en œuvre réelle dépend de contraintes budgétaires et de négociations complexes avec les fédérations et le Trésor.
Dans le domaine des arts et de la mémoire, McKenzie annonce notamment un programme de rapatriement des dépouilles de figures de la lutte de libération enterrées à l’étranger, au nom du respect dû aux héros de l’histoire sud-africaine. Il se positionne aussi sur des sujets sensibles comme les concours de beauté, n’hésitant pas à exprimer publiquement son malaise ou son opposition à la participation de certaines candidates, ce qui alimente de nouveaux débats sur le rôle d’un ministre dans des polémiques de ce type.
Un ministre sous surveillance : controverses, soutiens et défis à venir
Si une partie du public et des commentateurs salue la détermination de Gayton McKenzie à s’attaquer à certains gaspillages et à mettre en avant la transparence, son passage au ministère s’inscrit dans la continuité d’une carrière ponctuée de controverses. Ses liens passés avec des gangs, son rôle dans des affaires financières non élucidées et les zones d’ombre entourant l’origine de sa fortune continuent d’alimenter les critiques. Des lanceurs d’alerte et des enquêtes journalistiques récentes ont ravivé les interrogations sur la rapidité de son enrichissement, suggérant que des accointances avec des réseaux criminels ou des arrangements politiques pourraient avoir facilité certains de ses succès économiques.
Sur le terrain politique, la Patriotic Alliance est par ailleurs régulièrement accusée d’entretenir un climat de tension autour de la question migratoire, en ciblant les immigrés en situation irrégulière et en promettant de fermer des commerces ou d’expulser des personnes jugées indésirables. Ce discours, soutenu ou nuancé selon les contextes, contribue à sa popularité dans certains quartiers, mais inquiète des organisations de défense des droits humains et des chercheurs qui y voient une instrumentalisation des frustrations économiques.
Une autre polémique tient à la circulation d’anciens messages publiés sur les réseaux sociaux, dans lesquels McKenzie aurait utilisé un terme racial extrêmement offensant à l’égard de Sud-Africains noirs. La réapparition de ces propos a entraîné le dépôt de plaintes auprès de la Commission des droits de l’homme et des instances de déontologie parlementaire. Le ministre a minimisé la portée de ces messages en affirmant que ses détracteurs ne pouvaient prouver qu’il était raciste et en insistant sur sa vision d’unité entre populations noires et métisses. Des partis d’opposition et des commentateurs l’accusent cependant d’hypocrisie, rappelant qu’il a lui-même soutenu des actions en justice contre des propos jugés insultants envers les communautés « coloured ».
Dans le champ qui relève directement de son ministère, ses premières décisions ont reçu elles aussi des évaluations contrastées. Certains observateurs saluent la fin annoncée du financement des « super fans », la publication des listes de bénéficiaires et l’idée de réorienter des fonds vers le sport scolaire et le soutien de base aux artistes. D’autres pointent des contradictions, comme le coût élevé d’un déplacement du ministre en France pendant les Jeux olympiques, ou jugent problématique son usage intensif des réseaux sociaux pour commenter des dossiers sensibles, au risque d’alimenter des polémiques plutôt que de renforcer la confiance institutionnelle.
Au-delà de sa personne, les défis auxquels fait face le ministère des Sports, des Arts et de la Culture sont considérables. Le pays doit concilier le financement de grandes équipes nationales et de manifestations internationales avec le soutien au sport de base, dans un contexte de fortes inégalités sociales et territoriales. Dans le secteur culturel, il s’agit de garantir des ressources aux institutions patrimoniales, aux artistes indépendants et aux industries créatives, tout en veillant à une répartition plus équitable des aides publiques, longtemps critiquées pour leur opacité. Enfin, la question de la mémoire et du patrimoine – monuments, noms de rues, lieux de mémoire de la lutte anti-apartheid – reste au cœur de débats parfois explosifs sur l’identité sud-africaine.
Dans ce contexte, la figure de Gayton McKenzie condense une série de contradictions propres à la société sud-africaine : transformation personnelle réelle ou opportunisme habile, lutte contre la corruption ou implication présumée dans des circuits financiers opaques, défense des laissés-pour-compte ou rhétorique stigmatisante envers certains groupes. Son avenir politique – et la manière dont il marquera le ministère des Sports, des Arts et de la Culture – dépendra en grande partie de sa capacité à répondre concrètement aux attentes des sportifs, des artistes et du grand public, mais aussi à apporter des réponses convaincantes aux nombreuses questions que continue de susciter son parcours.
En l’état, son mandat illustre déjà l’influence croissante de forces politiques issues de trajectoires non conventionnelles dans la démocratie sud-africaine, et rappelle que la réconciliation entre passé criminel, ambitions personnelles et exigences d’un État de droit reste un exercice délicat, autant pour les individus que pour les institutions.



