Qui est Patricia de Lille, la femme politique ?

L’Afrique du Sud a confié son portefeuille stratégique du Tourisme à une figure politique atypique : Patricia de Lille. Militante syndicale durant l’apartheid, opposante pugnace au Parlement, mairesse du Cap, fondatrice de plusieurs partis, elle est aujourd’hui à la tête d’un secteur clé pour la relance économique et l’image du pays. Nommée ministre du Tourisme en mars 2023, puis reconduite dans ses fonctions après les élections nationales de 2024 au sein du gouvernement d’unité nationale, elle incarne une continuité rare dans un paysage politique sud-africain souvent mouvant.

Le tourisme représente pour Pretoria bien plus qu’une vitrine pour les safaris et les plages. C’est un secteur créateur d’emplois, de devises et d’opportunités pour des milliers de petites entreprises. Patricia de Lille insiste régulièrement sur le rôle du tourisme comme moteur pour l’emploi et la réduction des inégalités, en alignant son action sur les priorités économiques affichées par le gouvernement d’unité nationale.

Mais derrière la fonction, il y a un parcours singulier. Née en 1951 dans une petite ville du Karoo, passée par les luttes syndicales et la résistance à l’apartheid, longtemps figure de l’opposition, elle a navigué entre plusieurs formations avant de créer son propre parti, Good, qu’elle dirige toujours tout en siégeant au gouvernement.

Cet article revient sur ce trajet politique, depuis les laboratoires d’une usine chimique jusqu’aux tribunes internationales de l’Organisation mondiale du tourisme et du G20, et sur la manière dont Patricia de Lille entend utiliser le tourisme comme levier de développement pour l’Afrique du Sud et, plus largement, pour le continent africain.

Des origines modestes aux luttes syndicales

Patricia de Lille naît le 17 février 1951 à Beaufort West, dans l’ancienne province du Cap. Elle grandit dans une famille modeste, dans un contexte de ségrégation raciale institutionnalisée. Après des études secondaires, elle devient technicienne de laboratoire dans une usine chimique au milieu des années 1970, un emploi qu’elle occupe pendant de nombreuses années.

C’est dans ce milieu industriel qu’elle entre réellement en politique, par la porte du syndicalisme. Elle rejoint le South African Chemical Workers’ Union (SACWU), où elle commence comme simple déléguée du personnel avant de gravir les échelons. Elle devient ensuite secrétaire régionale du syndicat, puis est élue au niveau national.

Lorsque le SACWU devient l’un des syndicats fondateurs du National Council of Trade Unions (NACTU), Patricia de Lille poursuit son ascension. En 1988, elle est élue vice-présidente nationale de cette centrale syndicale, ce qui en fait l’une des femmes occupant les plus hautes responsabilités dans le mouvement ouvrier sud-africain à la fin des années 1980.

Cette expérience syndicale la place au cœur des luttes contre l’apartheid. Comme de nombreux militants, elle s’engage à la fois sur le terrain social et sur le terrain politique, participant aux mobilisations pour les droits des travailleurs, mais aussi aux débats sur la future Constitution d’un pays en transition. Les réseaux tissés dans le monde syndical lui ouvrent ensuite les portes de la politique nationale.

Une voix de l’opposition au Parlement post-apartheid

À la fin des années 1980, Patricia de Lille rejoint le Pan Africanist Congress (PAC), formation issue du mouvement panafricaniste et opposée à l’apartheid. Elle est élue au comité exécutif national du Pan Africanist Movement (PAM), l’aile politique liée à ce courant. C’est à ce titre qu’elle participe aux négociations constitutionnelles qui conduisent aux premières élections démocratiques de 1994.

Lors de ce scrutin historique, elle devient députée au Parlement sud-africain sous les couleurs du PAC. De 1994 à 1999, elle préside la commission parlementaire des Transports et siège également dans plusieurs autres commissions, notamment celles de la Santé, des Mines et de l’Énergie, du Commerce et de l’Industrie ou encore des Communications. Cette présence dans de nombreux portefeuilles lui permet de se forger la réputation d’une élue appliquée, attentive aux dossiers techniques.

Elle se fait surtout connaître du grand public en jouant un rôle de lanceuse d’alerte sur le vaste contrat d’armement conclu par l’Afrique du Sud avec des fabricants européens. Utilisant l’immunité parlementaire, elle réclame une enquête sur des soupçons de corruption autour de ce marché, ce qui la fait entrer durablement dans l’imaginaire politique sud-africain comme une figure de probité et de combativité.

Au début des années 2000, estimant ne plus trouver sa place au sein du PAC, elle profite d’une fenêtre de « changement de bord » parlementaire pour fonder sa propre formation, les Independent Democrats (ID), en 2003. Elle en devient naturellement la dirigeante. Le parti se positionne comme une alternative centriste, prônant transparence, lutte contre la corruption et bonne gouvernance.

Les Independent Democrats n’atteignent jamais le niveau électoral de l’ANC ou de la Democratic Alliance (DA), mais ils s’implantent dans certaines zones urbaines et permettent à Patricia de Lille de maintenir une voix indépendante au Parlement. Cette position d’opposante constructive, souvent critique des abus de pouvoir quel qu’en soit le camp, va conditionner la suite de sa trajectoire politique.

De la fusion des partis à la mairie du Cap

À partir de 2010, les Independent Democrats entament un processus de rapprochement puis de fusion avec la Democratic Alliance, principal parti d’opposition à l’ANC. Patricia de Lille rejoint la DA et devient l’une de ses figures de proue dans la province du Cap-Occidental.

Elle est nommée ministre provinciale du Développement social dans le gouvernement du Cap-Occidental en 2010, puis franchit un nouveau cap en 2011 lorsqu’elle est choisie comme mairesse de la ville du Cap. Elle occupera ce poste jusqu’en 2018, devenant l’une des élues les plus visibles du pays.

À la tête de la métropole, elle doit gérer de nombreux dossiers sensibles, notamment la grave crise de l’eau qui frappe la région et fait craindre un « jour zéro » où les robinets de la ville seraient à sec. Sa gestion suscite autant de soutiens que de critiques, mais contribue à renforcer son image de responsable confrontée à des défis très concrets dans une grande ville africaine.

Les dernières années de son mandat sont marquées par des tensions internes à la Democratic Alliance. La fermeture par Patricia de Lille d’une unité d’enquête spéciale de la ville, jugée trop intrusive, provoque une confrontation avec certains responsables du parti. Des accusations d’irrégularités liées à des travaux de sécurité à son domicile sont portées contre elle, avant d’être finalement écartées par l’auditeur général.

Après une série de procédures internes et un vote de défiance serré, la situation devient intenable. Elle démissionne de la mairie du Cap à l’automne 2018 et rompt avec la DA. Peu de temps après, elle annonce son intention de fonder une nouvelle formation politique.

En décembre 2018, elle lance officiellement le parti Good, présenté comme une alternative progressiste centrée sur la justice sociale, le développement urbain inclusif et la bonne gouvernance. Patricia de Lille en prend la direction et est désignée candidate au poste de Première ministre de la province du Cap-Occidental pour les élections de 2019.

Aux élections générales de mai 2019, Good obtient un score modeste au niveau national mais parvient à envoyer Patricia de Lille au Parlement. Elle redevient députée, cette fois en tant que cheffe d’un petit parti indépendant, mais sa trajectoire va prendre une nouvelle dimension lorsqu’elle est appelée au gouvernement.

De l’Infrastructure au Tourisme : l’entrée au gouvernement national

En mai 2019, peu après les élections, le président Cyril Ramaphosa propose à Patricia de Lille de rejoindre l’exécutif. Elle est nommée ministre des Travaux publics et des Infrastructures, à la tête d’un portefeuille nouvellement structuré. Elle y reste jusqu’en 2023. Cette nomination marque une étape importante, puisqu’elle quitte les bancs de l’opposition pour participer à un gouvernement dirigé par l’ANC, tout en demeurant à la tête de son propre parti Good.

À ce poste, elle est chargée de superviser de grands programmes d’infrastructures publiques, considérés comme essentiels pour relancer l’économie et améliorer les services de base. Son ministère doit notamment veiller à l’entretien des bâtiments publics et à la bonne gestion des contrats, un domaine historiquement vulnérable aux dérives et à la corruption.

En mars 2023, lors d’un remaniement, Cyril Ramaphosa la transfère au ministère du Tourisme. Elle succède à Lindiwe Sisulu et prend la tête d’un secteur en pleine reconquête après l’effondrement du trafic international pendant la pandémie de Covid-19.

Après les élections générales de 2024, Good ne conserve qu’un seul siège au Parlement, celui de Patricia de Lille. Le parti accepte cependant de participer au gouvernement d’unité nationale dirigé par l’ANC. De Lille est reconduite comme ministre du Tourisme, confirmant la confiance accordée à son action et assurant une continuité dans la politique touristique du pays.

Sur le site officiel du gouvernement et celui du ministère du Tourisme, elle est présentée comme une « politicienne chevronnée » ayant servi dans les trois sphères de gouvernement depuis 1994 : nation, province et municipalité. Son parcours illustre une capacité à travailler au-delà des lignes partisanes classiques, en plaçant l’accent sur la gestion et la mise en œuvre des politiques publiques.

Une ministre du Tourisme tournée vers les marchés émergents et les PME

Une fois au ministère du Tourisme, Patricia de Lille se retrouve en première ligne pour redonner de l’élan à un secteur durement affecté par la crise sanitaire mondiale. Ses interventions publiques mettent en avant trois axes récurrents : la création d’emplois, le soutien aux petites et moyennes entreprises, et l’ouverture ou le renforcement de nouveaux marchés étrangers.

L’un des rendez-vous majeurs de l’agenda touristique sud-africain est Africa’s Travel Indaba, grand salon professionnel qui réunit chaque année à Durban des acteurs du continent entier. En 2023, dans son discours d’ouverture, la ministre insiste sur le thème choisi : « façonner l’avenir de l’Afrique grâce aux connexions d’aujourd’hui ». Elle y souligne la capacité de ce salon à « amener le monde en Afrique » et à influencer positivement les trajectoires économiques et culturelles du continent.

En 2024, le ministère du Tourisme finance la participation de 120 petites et moyennes entreprises sud-africaines à l’Africa’s Travel Indaba. Ces entreprises bénéficient d’un stand et d’un accompagnement pour présenter leurs produits à des acheteurs internationaux venus de toute l’Afrique et d’autres régions du monde. Patricia de Lille insiste alors sur l’importance de ce type de plateformes pour favoriser la conclusion d’accords commerciaux profitables aux acteurs locaux.

La question de la connectivité aérienne occupe également une place centrale dans sa stratégie. La ministre mène plusieurs missions à l’étranger afin d’améliorer les liaisons entre l’Afrique du Sud et des marchés en pleine croissance, notamment en Asie. En Inde, elle met en avant des discussions « prometteuses » avec plusieurs compagnies aériennes sur la possibilité d’accords de partage de codes, de manière à renforcer les flux touristiques entre les deux pays.

Patricia de Lille joue aussi un rôle dans l’ouverture de nouveaux horizons pour les voyageurs sud-africains. En 2023, elle se rend en Arabie saoudite pour renforcer la coopération touristique. À la suite de cette visite, elle salue la décision du royaume d’ouvrir un système de visa électronique aux citoyens sud-africains, faisant de l’Afrique du Sud le premier pays du continent à bénéficier de ce dispositif.

Dans ses discours, la ministre insiste régulièrement sur l’objectif de créer davantage d’emplois dans le tourisme, en mettant l’accent sur les programmes qui soutiennent le secteur privé. Elle insiste sur la nécessité de travailler avec l’ensemble de la chaîne de valeur touristique, des petites entreprises locales aux grands groupes, pour que la croissance profite au plus grand nombre.

Une voix sud-africaine au G20 pour un tourisme durable et résilient

Au-delà des enjeux strictement nationaux, Patricia de Lille intervient aussi sur la scène internationale au nom de l’Afrique du Sud. Sous la présidence sud-africaine du G20 en 2025, le pays accueille la réunion des ministres du Tourisme et plusieurs rencontres de haut niveau. À cette occasion, la ministre met en avant quatre priorités opérationnelles pour le secteur : l’innovation numérique, le financement et l’investissement, la connectivité aérienne et la résilience.

Elle insiste sur la nécessité d’intégrer la durabilité à toutes les étapes du « voyage touristique », afin de concilier croissance économique et préservation de l’environnement. Pour elle, la relance du tourisme après la pandémie doit s’accompagner d’un effort pour réduire l’empreinte écologique des déplacements, soutenir les communautés locales et garantir des conditions de travail décentes.

En collaboration avec l’Organisation mondiale du tourisme (devenue UN Tourism), l’Afrique du Sud prépare un document de référence intitulé « Tourism Doing Business: Investing in South Africa Guidelines », destiné à mieux informer les investisseurs sur les opportunités et le cadre réglementaire du pays. Patricia de Lille y voit un outil pour attirer des capitaux, mais aussi pour clarifier les attentes en matière de gouvernance, de transformation et de développement inclusif.

Lors des réunions ministérielles du G20, elle défend l’idée que les innovations africaines en matière de tourisme – notamment les start-up et solutions numériques – doivent être pleinement prises en compte. Selon les données présentées par UN Tourism, les jeunes entreprises sud-africaines spécialisées dans le tourisme auraient attiré une part significative des investissements en capital-risque alloués à ce secteur sur le continent entre 2019 et 2024, ce que la ministre met en avant pour souligner le dynamisme de l’écosystème local.

Dans ce cadre, Patricia de Lille cherche à positionner l’Afrique du Sud non seulement comme une destination de voyage, mais aussi comme un partenaire stratégique dans les discussions internationales sur l’avenir du tourisme : numérique, durable, inclusif et préparé aux crises.

Une figure politique singulière dans le paysage sud-africain

Si Patricia de Lille occupe aujourd’hui le devant de la scène comme ministre du Tourisme, son influence dépasse largement ce seul portefeuille. Elle reste la dirigeante de Good, petit parti qui revendique une position de principe plutôt que de puissance électorale, et continue de se présenter comme une militante de la justice sociale et de la bonne gouvernance.

Son parcours est marqué par plusieurs singularités. Elle est l’une des rares femmes politiques sud-africaines à avoir fondé et dirigé à deux reprises un parti politique national : d’abord les Independent Democrats, puis Good. Elle a occupé des fonctions au niveau local, provincial et national, ce qui lui confère une vision transversale des politiques publiques, des quartiers populaires du Cap jusqu’aux grandes scènes internationales.

Au fil des années, elle a également été distinguée à plusieurs reprises. Elle a reçu notamment la liberté de la ville de Birmingham, en Alabama, et a été classée parmi les femmes les plus influentes de la sphère publique sud-africaine. En 2004, un sondage Markinor la classait parmi les personnalités politiques préférées des Sud-Africains, juste derrière le président de l’époque, Thabo Mbeki.

Son rôle honorifique au sein de l’armée, comme colonel honoraire d’une unité de transmissions, témoigne aussi de la reconnaissance institutionnelle dont elle bénéficie, bien au-delà de son camp politique du moment.

Les opposants comme les soutiens reconnaissent une constante : Patricia de Lille s’est construite une image de responsable politique indépendante, parfois en rupture avec les formations qui l’ont portée, mais rarement absente des grands dossiers. En acceptant d’entrer dans un gouvernement dirigé par l’ANC tout en conservant son propre parti, elle occupe une position d’équilibriste, à mi-chemin entre l’opposition traditionnelle et la participation à la gestion du pouvoir.

Dans le domaine du tourisme, ce positionnement lui permet de dialoguer avec un large éventail d’acteurs : collectivités locales, opérateurs privés, syndicats, communautés hôtes. Les dossiers qu’elle pilote – de la relance post-Covid aux grands événements internationaux en passant par la connectivité aérienne et les partenariats avec des pays comme l’Inde ou l’Arabie saoudite – montrent un mélange de pragmatisme économique et de souci affiché de transformation sociale.

Alors que l’Afrique du Sud cherche à diversifier son économie, à lutter contre un chômage massif et à renforcer son image à l’étranger, le portefeuille du Tourisme occupe une place stratégique. En confiant cette responsabilité à une personnalité au parcours aussi dense et contrasté, le pays a fait le choix d’une ministre rompue aux négociations difficiles et aux dossiers complexes. À la croisée des routes entre militantisme syndical, opposition parlementaire, gestion municipale et coopération internationale, Patricia de Lille incarne aujourd’hui l’une des voix les plus expérimentées de la vie politique sud-africaine, cette fois au service d’un secteur appelé à jouer un rôle clé dans l’avenir du pays.

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