Deux semaines après le versement des 1,2 million de dollars de primes du Championnat d’Afrique des Nations (CHAN) sur le compte de la Fédération Malgache de Football (FMF), les joueurs et le staff technique des Barea n’ont toujours pas touché le moindre ariary. Cette situation, qui plonge l’équipe nationale dans l’incompréhension, suscite un débat national sur la gestion des fonds alloués au football malgache et sur le manque de transparence au sein de la fédération.
Alors que le pays célébrait encore l’exploit des Barea, finalistes du tournoi continental, l’affaire des primes non versées est venue ternir l’image d’une équipe devenue symbole d’unité et de fierté nationale. Entre promesses non tenues, mutisme des dirigeants et colère grandissante des joueurs, ce silence prolongé soulève des questions lourdes sur la gouvernance du sport roi à Madagascar.
Une récompense méritée mais introuvable
Lorsque les Barea ont atteint la finale du CHAN, un vent d’euphorie a soufflé sur Madagascar. Pour la première fois, la sélection locale, composée exclusivement de joueurs évoluant dans le championnat national, avait réussi à se hisser à un tel niveau. La performance fut saluée à travers tout le pays, de Toliara à Antsiranana, et le gouvernement comme la FMF avaient promis de récompenser les héros nationaux.
Selon les informations officielles, la Confédération Africaine de Football (CAF) a versé un total de 1,2 million de dollars à la FMF au titre des primes de performance. Une somme considérable pour un pays où le budget du football demeure modeste. Cet argent devait être réparti entre les joueurs, le staff technique, et certaines dépenses logistiques engagées durant la compétition.
Mais deux semaines après le virement, les bénéficiaires attendent toujours. Un membre de l’équipe, ayant requis l’anonymat par crainte de représailles, confie que personne, ni joueur ni entraîneur, n’a perçu le moindre paiement. « C’est la vérité, nous n’avons absolument rien reçu. Aucun joueur n’a encore perçu sa prime. Nous sommes toujours dans l’attente et, pire encore, nous n’avons aucune nouvelle information de la part des dirigeants », explique-t-il avec amertume.
Cette déclaration vient confirmer ce que plusieurs rumeurs laissaient entendre depuis plusieurs jours : la prime existe bien, mais sa distribution semble suspendue dans un flou administratif inquiétant.
Le mutisme déroutant de la Fédération
Ce qui choque le plus les supporters et les observateurs du football malgache, ce n’est pas seulement le retard, mais surtout le silence de la Fédération. Aucun communiqué officiel n’a été publié, aucune explication n’a été donnée quant aux raisons de ce blocage.
Les journalistes qui ont tenté d’obtenir une réaction de la FMF se sont heurtés à un mur. Les dirigeants, pourtant prompts à se féliciter des succès de l’équipe, évitent désormais les caméras et les questions. Certains membres du comité exécutif, contactés par téléphone, ont préféré ne pas répondre. D’autres affirment ne pas être au courant des détails financiers.
Ce manque de transparence n’est pas nouveau. Depuis plusieurs années, la FMF est régulièrement critiquée pour sa gestion opaque des fonds provenant de la CAF ou de la FIFA. En 2022 déjà, des soupçons de mauvaise utilisation des aides financières destinées au développement du football avaient fait surface, sans qu’aucune enquête officielle ne soit menée.
Aujourd’hui, la situation des Barea relance ces interrogations. Où est passé l’argent ? Pourquoi les joueurs n’ont-ils pas été payés ? Et surtout, pourquoi la fédération reste-t-elle muette alors que la polémique enfle dans le pays ?
Le silence des responsables, au lieu d’apaiser les tensions, alimente la colère. Sur les réseaux sociaux, les messages de soutien aux joueurs se multiplient. Les fans dénoncent une injustice criante envers ceux qui ont hissé haut les couleurs de la nation. Certains demandent même l’intervention du ministère des Sports pour clarifier la situation.
Les joueurs entre frustration et dignité
Pour les joueurs, la déception est immense. Après avoir donné le meilleur d’eux-mêmes sur le terrain, ils espéraient que leurs efforts seraient récompensés à la hauteur de leur exploit. Mais au lieu de recevoir leurs primes, ils doivent aujourd’hui affronter le silence et l’indifférence de leurs dirigeants.
Plusieurs d’entre eux vivent dans des conditions modestes. Contrairement aux footballeurs évoluant en Europe, la majorité des membres des Barea issus du championnat local perçoivent des salaires faibles, parfois irréguliers. Pour eux, ces primes représentaient bien plus qu’une simple récompense : c’était la reconnaissance de leur travail et un soutien financier essentiel.
Malgré la frustration, la plupart des joueurs refusent de céder à la colère publique. Aucun mouvement de grève ou de protestation officielle n’a été annoncé. Cette retenue témoigne de leur professionnalisme, mais aussi de la crainte d’être sanctionnés par la Fédération. Certains espèrent encore une issue pacifique, d’autres envisagent de porter l’affaire auprès de la CAF si la situation perdure.
Les témoignages recueillis montrent toutefois un profond malaise. « Nous avons tout donné pour le pays, nous avons joué avec le cœur, et maintenant nous sommes oubliés », confie un défenseur de l’équipe. D’autres évoquent un sentiment de trahison. Ils ont l’impression que leur succès a servi à d’autres intérêts que les leurs.
Une gestion du football en crise
L’affaire des primes non versées ne constitue pas un cas isolé dans le paysage du football africain. De nombreuses fédérations nationales ont déjà été épinglées pour des problèmes similaires : retards de paiement, détournements de fonds ou mauvaise gestion. Cependant, à Madagascar, cette affaire a une résonance particulière, car elle survient à un moment où le football était redevenu un vecteur d’unité nationale.
Depuis l’épopée des Barea à la Coupe d’Afrique des Nations 2019, le football malgache avait retrouvé un souffle nouveau. Les infrastructures commençaient à s’améliorer, les jeunes retrouvaient espoir, et les sponsors revenaient timidement. Mais ce scandale pourrait freiner cet élan.
Selon plusieurs observateurs, la FMF souffre d’un manque de gouvernance interne. Les décisions importantes sont souvent prises sans consultation, les comptes financiers sont rarement rendus publics, et les relations entre la fédération et le ministère des Sports sont tendues. Ce climat d’opacité favorise la méfiance et nourrit les soupçons de mauvaise foi.
Les analystes sportifs appellent à une réforme en profondeur du système. Ils réclament une transparence totale sur la gestion des fonds, la mise en place d’audits indépendants, et une meilleure représentation des joueurs dans les instances décisionnelles. Car sans confiance, le football malgache risque de perdre ce qu’il a mis des années à reconstruire.
Les appels à la transparence se multiplient
Face à la colère grandissante, plusieurs voix s’élèvent pour demander des comptes à la FMF. Des journalistes, des anciens joueurs, mais aussi des supporters exigent que la lumière soit faite sur l’utilisation des 1,2 million de dollars.
Le ministère de la Jeunesse et des Sports, jusque-là silencieux, pourrait être contraint d’intervenir si la pression médiatique continue. Selon certaines sources proches du dossier, une lettre aurait déjà été adressée à la Fédération pour obtenir des explications sur la destination des fonds.
Des associations de supporters envisagent également de saisir la justice afin qu’une enquête soit ouverte. Leur objectif est de protéger les droits des joueurs et d’éviter que ce type de situation ne se reproduise.
Au sein même du milieu du football, certains dirigeants régionaux de clubs dénoncent le manque de reddition de comptes de la FMF. Ils rappellent que le football malgache ne pourra progresser que si les institutions qui le dirigent se montrent exemplaires.
Cette exigence de transparence dépasse le cadre sportif : elle traduit le ras-le-bol d’une population lassée des promesses sans suite et des affaires d’argent mal géré.
Un enjeu national et symbolique
Au-delà de la question financière, cette affaire met en jeu la symbolique du football malgache. Les Barea, par leur parcours exemplaire, avaient offert une rare occasion d’unité à un pays souvent divisé. Leur réussite avait redonné espoir, fierté et confiance à des millions de Malgaches.
Voir ces mêmes joueurs confrontés à l’injustice et à l’abandon suscite une profonde déception. Dans les quartiers populaires comme dans les villages reculés, les supporters expriment leur indignation. Beaucoup se sentent trahis. Le football, qui devait rassembler, risque de redevenir un terrain de frustration.
Si la FMF ne parvient pas à restaurer la confiance, c’est tout un système qui pourrait vaciller. La crédibilité du sport national, déjà fragile, en sortirait affaiblie. Et les jeunes talents, témoins de cette situation, pourraient perdre foi en la possibilité de faire carrière dans leur pays.
Une issue encore incertaine
Pour l’heure, aucune solution concrète n’a été annoncée. Les joueurs attendent toujours, la Fédération garde le silence, et la CAF ne s’est pas encore exprimée officiellement sur le sujet.
Certains espèrent que la pression médiatique finira par débloquer la situation. D’autres craignent que le dossier soit étouffé comme tant d’autres avant lui. Si la FMF venait à distribuer les primes dans les prochaines semaines, elle ne pourra toutefois effacer la blessure morale causée par ce silence prolongé.
Cette affaire pourrait néanmoins servir d’électrochoc. Elle révèle les failles d’un système à réformer d’urgence : absence de transparence, lenteur administrative, et manque de respect envers ceux qui représentent le pays sur le terrain.
Pour beaucoup, les Barea méritent mieux. Ils méritent la reconnaissance de la nation, mais aussi la considération de leurs dirigeants. Leur combat dépasse désormais le cadre sportif : il symbolise la lutte pour la justice et la dignité dans un environnement où les promesses ont trop souvent été trahies.
Conclusion : un test de crédibilité pour la FMF
L’affaire des primes du CHAN place la Fédération Malgache de Football face à ses responsabilités. En refusant de communiquer, elle entretient la suspicion et compromet son image. Il ne s’agit plus seulement d’un retard de paiement, mais d’un véritable test de crédibilité institutionnelle.
Si la FMF veut regagner la confiance des joueurs et du public, elle doit parler, expliquer, justifier, et surtout agir. Les 1,2 million de dollars ne sont pas qu’une somme d’argent : ils représentent la sueur, l’effort et la fierté de tout un peuple. Les Barea ont honoré Madagascar sur le terrain ; il appartient maintenant à leurs dirigeants d’honorer leurs engagements.



