Il n’est pas de ces figures qui émergent par le bruit des tribunes ou la longévité des plateaux télé. Ahamadi Sidi Nahouda s’est imposé autrement, par une trajectoire progressive, longtemps enracinée dans l’enseignement, puis consolidée dans la gestion de la protection sociale, avant d’atteindre, en 2025, l’un des portefeuilles les plus sensibles de l’Union des Comores : la Santé et la Protection sociale. Sa nomination intervient dans une séquence politique marquée par un remaniement, une nouvelle législature et la volonté affichée de poursuivre les programmes en cours, dans un pays où les urgences sanitaires, les contraintes budgétaires et les attentes sociales se télescopent au quotidien.
Pour comprendre qui est Ahamadi Sidi Nahouda, il faut accepter de le regarder à l’échelle d’un parcours plus que d’un instant. Son profil, souvent présenté comme celui d’un homme de dossiers, est aussi celui d’un acteur passé par les rouages concrets de l’administration publique, notamment dans le champ de la prévoyance sociale. Sa prise de fonction ministérielle, datée du 14 avril 2025, l’expose désormais à un test de réalité : celui des hôpitaux, des soins de proximité, des grands programmes de santé publique et d’une protection sociale dont la promesse, partout, se heurte aux moyens disponibles.
Un élu d’Anjouan, né à Moya, formé aux lettres
Ahamadi Sidi Nahouda est né le 11 décembre 1964 à Moya, sur l’île d’Anjouan (Ndzuwani). Cette origine géographique compte dans la compréhension de son ancrage politique : Anjouan constitue un espace central de la vie électorale comorienne, et la circonscription de Sima, liée à son territoire, revient souvent dans les récits de sa carrière.
Son cursus est, de façon notable, tourné vers les lettres modernes françaises. Plusieurs éléments biographiques le décrivent comme diplômé en lettres modernes françaises à l’Université des Comores, et son identité publique a longtemps été associée à l’enseignement du français et de l’arabe. Dans un paysage politique où dominent fréquemment les profils juridiques, économiques ou administratifs, cette formation littéraire tranche, sans pour autant être exceptionnelle aux Comores, où les enseignants ont parfois constitué des viviers de cadres politiques et associatifs.
Les informations publiées à son sujet insistent également sur sa maîtrise de plusieurs langues, notamment le français, l’arabe et l’anglais, et sur des formations complémentaires réalisées dans le champ de la prévoyance sociale, de la régulation et de la gestion du risque en assurance maladie. Ces éléments éclairent un trait constant de son parcours : la tension entre une culture de transmission (l’école, la pédagogie) et une montée en compétence vers la gestion publique (l’assurance maladie, l’architecture institutionnelle de la protection sociale).
Son entrée dans le gouvernement n’efface pas cette image initiale. Dans les présentations officielles ou para-officielles, il est encore fréquemment décrit comme enseignant, ou comme une personnalité passée par la direction d’une institution sociale. Cet empilement d’identités, plus que le récit d’un “homme providentiel”, renvoie à une réalité : l’État comorien s’appuie souvent sur des cadres capables de circuler entre secteurs, faute d’un vivier extrêmement large de hauts fonctionnaires spécialisés exclusivement dans un domaine.
Une longue étape dans l’enseignement, puis l’administration sociale
Avant d’être ministre, Ahamadi Sidi Nahouda a exercé pendant de nombreuses années dans l’enseignement, en particulier comme professeur de français. Des éléments biographiques évoquent plus de deux décennies consacrées à ce métier, avant une bascule vers des responsabilités administratives plus lourdes.
Cette première partie de carrière n’est pas seulement un décor : elle façonne souvent, chez les responsables publics issus du monde enseignant, une manière d’aborder les politiques publiques par la proximité, l’écoute des réalités locales et l’attention aux services essentiels. Aux Comores, où l’accès aux soins, la prévention, la vaccination ou la santé maternelle peuvent dépendre de la confiance communautaire, l’expérience du terrain éducatif peut constituer un atout, à condition de se traduire en décisions budgétaires et organisationnelles. L’enjeu, pour un ministre, n’est pas d’être “proche” mais d’être capable de transformer cette proximité en chaîne d’exécution administrative.
La deuxième phase de sa trajectoire se joue à la Caisse nationale de solidarité et de prévoyance sociale (CNSPS). Ahamadi Sidi Nahouda en a été directeur général à partir d’avril 2017 et jusqu’à sa nomination ministérielle en avril 2025, selon les informations disponibles. Dans les pays où la protection sociale est en construction ou en consolidation, ce type de poste est stratégique : il touche à la gouvernance des régimes sociaux, à la collecte, à la soutenabilité, mais aussi à l’équité d’accès.
Plusieurs publications relient la CNSPS aux évolutions réglementaires visant à intégrer la couverture sanitaire universelle et à préparer l’avènement de l’assurance maladie généralisée (AMG). Dans une interview ou un article explicatif consacré aux statuts de la CNSPS, il est présenté comme le directeur général décrivant les changements : mode d’administration (directeur général et adjoint, conseil d’administration), dotation initiale annoncée, élargissement des tutelles, et articulation avec des textes destinés à rendre l’assurance maladie opérationnelle. Ce passage par la CNSPS place Ahamadi Sidi Nahouda au cœur d’un sujet qui déborde largement le ministère de la Santé : comment financer et organiser la prise en charge, comment définir qui cotise, qui bénéficie, et selon quelles règles.
Cet ancrage “protection sociale” est essentiel pour comprendre sa nomination à la Santé et à la Protection sociale : son portefeuille n’est pas uniquement médical. Il implique aussi des mécanismes de solidarité, des dispositifs de prévoyance, et des arbitrages parfois impopulaires entre ce qui est souhaitable et ce qui est finançable.
De la politique partisane à l’Assemblée : un cadre de la CRC
Sur le plan partisan, Ahamadi Sidi Nahouda est associé à la Convention pour le renouveau des Comores (CRC), formation au pouvoir. Des éléments biographiques mentionnent un rôle au sein de l’appareil du parti, notamment comme secrétaire national adjoint à une période donnée, avant sa direction à la CNSPS puis son élection législative.
En 2025, il est élu député de la circonscription de Sima 2 (Sima II). Les résultats provisoires publiés pour les législatives à Anjouan le créditent, dans cette circonscription, d’un score annoncé de 76,86 %, correspondant à 7 680 voix. Dans le même ensemble de résultats, la CRC est décrite comme remportant l’ensemble des circonscriptions de l’île selon les chiffres proclamés par l’instance électorale insulaire, sur fond de contestations de l’opposition évoquant des irrégularités. Ce contexte rappelle que la trajectoire d’un élu ne se lit pas seulement à partir de son score, mais aussi à partir de la confiance institutionnelle accordée au processus électoral.
Son passage à l’Assemblée est rapidement interrompu par une logique classique dans les régimes où l’exécutif recrute dans la majorité parlementaire : peu après l’installation de la nouvelle législature, il est appelé au gouvernement. La chronologie publiée autour du remaniement ministériel du 14 avril 2025 situe clairement son entrée à la Santé dans un mouvement où l’exécutif conserve l’essentiel de son ossature tout en introduisant de nouveaux visages.
Cette séquence est politiquement significative. La Santé est un ministère exposé : il concentre les attentes populaires (qualité des soins, accès, médicaments), les pressions des crises (épidémies, urgences hospitalières) et les demandes des partenaires (programmes internationaux, coopération). Choisir un profil issu de la prévoyance sociale et de l’administration, plutôt qu’un médecin déjà connu du public, peut être lu comme une volonté de piloter le système et ses mécanismes de prise en charge, en plus du soin lui-même.
Ministre de la Santé : premiers déplacements, urgences hospitalières et santé publique
Le passage au gouvernement transforme un parcours en responsabilité immédiate. Depuis sa nomination, plusieurs éléments publics documentent ses activités, notamment des visites d’établissements de santé et une présence lors d’événements régionaux liés à la santé publique.
Début décembre 2025, une visite au Centre hospitalier régional insulaire (CHRI) de Hombo, à Anjouan, met en scène un ministre confronté à des problèmes concrets : dysfonctionnements signalés, dégradation de la pédiatrie, murs fragilisés, gestion des déchets hospitaliers avec des déchets brûlés faute d’incinérateur, et inquiétudes liées à l’approche du kashkazi (saison de vents) pouvant aggraver des zones d’éboulement. Le récit de cette visite insiste sur l’idée d’un constat de terrain et d’une urgence d’action, notamment pour la pédiatrie. Il évoque aussi le centre de dialyse : trois patients en traitement au moment de la visite, et un bilan de 45 séances réalisées en trois mois pour cinq patients, selon les médecins cités.
Au-delà des détails, cette scène éclaire la ligne de crête du ministère : l’hôpital comme symbole des attentes sociales, et comme révélateur des manques d’infrastructures. Un service de pédiatrie dégradé, une gestion des déchets insuffisante, ou des murs fragilisés ne sont pas seulement des problèmes techniques : ils touchent à la sécurité des soins, à la dignité, à la prévention des infections, et à la confiance. S’y ajoute un point typique des systèmes hospitaliers sous contrainte : la nécessité de prioriser, de hiérarchiser les travaux, d’arbitrer entre rénovation, équipements, ressources humaines et logistique.
Parallèlement, des communications publiques et des comptes rendus d’événements indiquent sa participation à des rendez-vous liés au VIH/sida, au diabète, à la prématurité ou à la vaccination HPV, dans un calendrier de santé publique visible à Moroni à l’automne 2025. Même lorsque ces éléments sont de nature institutionnelle, ils traduisent des priorités structurelles : prévention, mobilisation communautaire, sensibilisation, et articulation avec des acteurs religieux ou associatifs sur des sujets comme la vaccination.
Un autre registre de son activité ministérielle apparaît dans la coopération internationale. Une rencontre est relatée entre l’ambassadeur de Chine aux Comores et le ministre comorien de la Santé et de la Protection sociale, datée du 20 octobre 2025, et publiée ensuite. Il y est question de coopération sanitaire, d’appui au développement du secteur de la santé et de la réputation de l’équipe médicale chinoise aux Comores. La séquence montre un ministre présent sur le terrain diplomatique de la santé, domaine où l’aide, les missions médicales, les équipements et la formation constituent souvent des leviers importants.
Ces éléments, mis bout à bout, dessinent les contours d’un début de mandat dominé par des urgences d’infrastructure, une communication sur la prévention, et une recherche de partenariats. Mais ils rappellent aussi ce que la Santé impose à tout ministre : répondre à l’immédiat (un service dégradé, un hôpital en difficulté) sans perdre de vue le long terme (assurance maladie, prévention, financement, ressources humaines).
Une trajectoire révélatrice des équilibres comoriens entre soins et protection sociale
Le cas Ahamadi Sidi Nahouda illustre une évolution plus large : la santé ne se limite plus au ministère des médecins. Elle se joue aussi dans la capacité d’un État à organiser la protection sociale, à stabiliser des institutions de prévoyance, à construire des mécanismes d’assurance et à faire fonctionner, au quotidien, l’architecture de la solidarité.
Son parcours à la CNSPS, associé aux débats sur l’assurance maladie généralisée et à l’intégration de la couverture sanitaire universelle dans les statuts, explique pourquoi son arrivée à la Santé peut être interprétée comme un choix de pilotage systémique. Dans le récit institutionnel, la CNSPS est décrite comme chargée de gérer des régimes sociaux et de porter une ambition d’assurance maladie, avec une articulation entre assurance obligatoire et assistance médicale pour ceux qui n’ont pas les moyens, ainsi qu’une volonté d’intégrer le secteur informel. Ces thèmes dépassent largement l’hôpital : ils touchent au modèle social que les Comores veulent construire.
Politiquement, sa nomination s’inscrit dans un remaniement où le président Azali Assoumani met en avant la continuité et la consolidation des acquis, en reconduisant une partie importante de l’équipe tout en faisant entrer six nouveaux ministres. Ahamadi Sidi Nahouda fait partie de ces entrants, appelé à remplacer son prédécesseur au ministère de la Santé. Dans la lecture de la presse, plusieurs “nouveaux visages” sont présentés comme découvrant les coulisses du pouvoir, ce qui place son cas dans une dynamique de renouvellement contrôlé plutôt que dans une rupture.
Reste la question la plus importante, celle que les biographies ne résolvent jamais : que peut un ministre, concrètement, face à l’état des infrastructures et aux attentes de la population ? La visite du CHRI de Hombo, avec ses alertes sur la pédiatrie, les déchets, les murs fragilisés et la dialyse, rappelle que la Santé se juge sur des actes visibles. Annoncer l’urgence, “collecter des données”, promettre des “solutions”, sont des étapes attendues ; la suite se mesure à la capacité d’engager des travaux, de sécuriser, d’équiper, de mieux gérer les déchets, et d’améliorer l’accueil des patients.
En définitive, Ahamadi Sidi Nahouda apparaît comme une figure à la croisée de deux mondes : celui des services publics de proximité, où l’on apprend la patience et la relation humaine, et celui de la gouvernance sociale, où l’on apprend la règle, le financement et la réforme. De Moya à Moroni, d’une carrière d’enseignant à la direction d’une caisse sociale, puis à un ministère exposé, son itinéraire raconte aussi une réalité comorienne : la construction de l’État social se fait par étapes, à travers des profils polyvalents, appelés à transformer des diagnostics connus en améliorations tangibles.



