Chimiste de formation, universitaire et ministre, Éléonore Yayi Ladékan incarne un profil de plus en plus visible dans les gouvernements africains : celui d’une spécialiste issue du monde académique, propulsée aux responsabilités publiques sur des portefeuilles liés à l’éducation et à la recherche. Au Bénin, où la question de la formation supérieure, de l’employabilité des diplômés et de l’intégrité académique pèse lourdement dans le débat public, son parcours est régulièrement cité comme un exemple de passerelle entre l’université et la décision politique. Qui est-elle, d’où vient-elle, et que dit son itinéraire des priorités actuelles du pays en matière d’enseignement supérieur et de science ?
Une trajectoire d’universitaire, marquée par la recherche en chimie
Avant d’apparaître dans les organigrammes gouvernementaux, Éléonore Yayi Ladékan s’inscrit d’abord dans un cheminement scientifique. Son nom est notamment associé à un travail doctoral soutenu en France, à l’Université Clermont-Ferrand 2, dans le champ de la chimie organique. La thèse, soutenue en 1998, porte sur l’étude d’huiles essentielles de plantes aromatiques du Bénin, à travers plusieurs espèces du genre Ocimum. Ce type de recherche, à la frontière entre chimie, botanique et valorisation des ressources naturelles, est souvent présenté comme une voie possible de développement scientifique pour des pays disposant d’une biodiversité riche mais confrontés à des défis d’industrialisation et de transformation locale.
Cette étape doctorale n’est pas qu’un jalon académique : elle situe son profil à l’intersection de deux mondes. D’un côté, la recherche fondamentale et appliquée, avec ses exigences de méthode, de preuve, de publication, de reproductibilité. De l’autre, un ancrage explicite sur des ressources et des usages locaux, ce qui n’est pas neutre dans un pays où la question de la valorisation des filières (agriculture, plantes médicinales, innovation) revient régulièrement dans les stratégies publiques.
Par la suite, elle enseigne à l’Université d’Abomey-Calavi, l’un des principaux pôles d’enseignement supérieur du Bénin. Dans les biographies institutionnelles disponibles en ligne, elle est présentée comme professeure à l’Université d’Abomey-Calavi. Cette position n’est pas seulement un titre : elle renvoie à une longue présence dans les réseaux universitaires, à une connaissance concrète du fonctionnement interne des établissements (formation, recherche, vie étudiante, gouvernance), et à un rapport direct aux réalités vécues par les étudiants, les enseignants et les personnels administratifs.
L’entrée dans l’action publique : du monde universitaire aux responsabilités d’État
Le passage de l’université à l’État s’opère, dans son parcours, par des fonctions situées à la frontière entre administration de l’enseignement supérieur et politique publique. En novembre 2012, un décret la nomme directrice du Centre des Œuvres Universitaires et Sociales (COUS) à l’Université d’Abomey-Calavi. Cette institution, généralement, ne se limite pas à des tâches symboliques : elle touche à des dimensions sensibles du quotidien étudiant, comme l’accompagnement social, l’organisation de services, et plus largement les conditions de vie sur le campus. Être nommée à ce niveau signifie entrer dans une logique de gestion publique, où les décisions sont scrutées, et où l’on se confronte à des contraintes budgétaires, logistiques et parfois politiques.
Ce type de poste est souvent une étape charnière : il oblige à sortir du seul cadre disciplinaire pour intégrer une vision d’ensemble, faite d’arbitrages, de priorisation et de négociation. Il place aussi son action dans un secteur où la pression sociale est forte : l’enseignement supérieur, au Bénin comme ailleurs, concentre les attentes d’ascension sociale, mais aussi les frustrations liées aux conditions d’étude, aux débouchés et à l’équité.
Les sources biographiques la décrivent également comme ayant exercé, à l’Université d’Abomey-Calavi, des responsabilités de vice-rectorat en charge de la coopération internationale, des partenariats et de l’insertion professionnelle, jusqu’à son entrée (ou retour) au gouvernement. Là encore, la fonction est révélatrice : la coopération et les partenariats renvoient à la capacité des universités à se connecter à des réseaux, à attirer des projets, à développer des échanges et à nouer des collaborations, tandis que l’insertion professionnelle renvoie à un enjeu très concret, celui du lien entre diplômes et emploi.
Dans un pays où la jeunesse est majoritaire et où l’emploi qualifié constitue un défi de long terme, ces thématiques structurent largement le débat sur l’enseignement supérieur. Être identifiée à ces sujets, avant même un portefeuille ministériel, explique aussi pourquoi sa trajectoire est souvent lue comme celle d’une technicienne devenue décideuse.
Ministre à deux périodes : continuités et changements de cap entre gouvernements
Éléonore Yayi Ladékan est décrite comme ayant été ministre à deux reprises, sous des présidences différentes. Les biographies accessibles la présentent d’abord comme ancienne ministre des Enseignements maternel et primaire sous le président Thomas Boni Yayi. Cette première expérience gouvernementale l’inscrit donc dans un champ éducatif en amont du supérieur : l’école maternelle et primaire, qui constitue la base des politiques de scolarisation, de lutte contre les inégalités d’accès et de formation initiale des élèves.
Plus tard, elle est nommée ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique dans le gouvernement de Patrice Talon. Des documents officiels sur la composition du gouvernement, publiés par les institutions béninoises, mentionnent sa présence à ce poste à partir des remaniements de 2019. En 2021, un décret portant composition du gouvernement confirme également sa fonction de ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique dans la configuration du second mandat présidentiel.
La continuité est frappante : même si les portefeuilles diffèrent, le fil conducteur reste l’éducation. Et derrière ce fil conducteur se joue une logique politique bien connue : placer des profils réputés compétents dans des secteurs stratégiques où l’État est attendu au tournant. L’enseignement supérieur et la recherche, en particulier, concentrent plusieurs défis simultanés : qualité de la formation, adéquation au marché du travail, financement de la recherche, gouvernance des universités, intégrité académique, et parfois tensions sociales sur les campus.
Dans l’espace public, ce positionnement fait d’elle une figure à la fois technique et politique. Technique, parce que son parcours d’enseignante-chercheuse et de gestionnaire universitaire la situe dans un registre de compétences spécifiques. Politique, parce qu’un ministère, surtout dans un secteur sensible, engage nécessairement des choix, des priorités, et un discours public sur ce que le pays attend de son système éducatif.
À l’Enseignement supérieur et à la Recherche : des dossiers concrets et une visibilité de terrain
Être ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique ne se résume pas à l’affichage d’une stratégie : c’est aussi une succession d’actes administratifs, de décisions de gouvernance et de messages adressés à la communauté éducative.
Plusieurs séquences récentes illustrent ce rôle. En juin 2025, à la veille du démarrage des épreuves écrites du baccalauréat au Bénin, un message public de mobilisation et d’encouragement est attribué à la ministre, s’adressant aux candidats et aux acteurs éducatifs. Le baccalauréat, dans le système francophone, reste un moment de bascule : il clôt le secondaire et ouvre la porte au supérieur. Toute prise de parole ministérielle à ce moment-là vise à la fois à rassurer sur l’organisation, à rappeler l’importance de l’examen et à installer une tonalité institutionnelle. C’est aussi une manière, pour un ministère, de se rendre visible auprès des familles, des élèves et des enseignants.
En août 2025, des articles de presse béninoise relatent le lancement officiel d’une campagne nationale d’orientation et de sensibilisation des nouveaux bacheliers, à l’Université de Parakou, sous la présidence de la ministre. L’enjeu, tel qu’il est présenté, est d’accompagner les nouveaux diplômés dans le choix de filières, en tenant compte à la fois de leurs aspirations et des besoins du marché de l’emploi. Cette question de l’orientation est un point névralgique : dans beaucoup de systèmes universitaires, une orientation insuffisamment structurée peut mener à des parcours subis, à des abandons, ou à une inadéquation entre formation et emploi. En mettant en avant une campagne dédiée, l’action publique se place sur le terrain de la prévention : mieux informer en amont pour réduire les erreurs d’aiguillage.
En mars 2025, une autre actualité mentionne l’installation de membres du Conseil d’administration de l’Agence béninoise pour la Recherche et l’Innovation (ABRI) par la ministre. Le simple fait qu’une agence dédiée à la recherche et à l’innovation soit mise en avant, avec un conseil d’administration installé officiellement, signale une volonté de structuration institutionnelle. Les agences de ce type sont généralement pensées comme des outils de pilotage : elles peuvent servir à financer, coordonner, évaluer, ou orienter des programmes. La cérémonie d’installation, telle qu’elle est rapportée, donne à voir un ministère engagé dans la mise en place d’organes de gouvernance pour le secteur recherche-innovation.
Par ailleurs, des articles de presse évoquent aussi des prises de position contre des pratiques assimilées à de la tricherie académique, notamment la rédaction de mémoires universitaires par des prestataires rémunérés. Sans entrer dans les détails d’affaires particulières, le sujet est en soi révélateur : l’intégrité académique est devenue une préoccupation centrale dans de nombreux pays, car elle touche à la crédibilité des diplômes, à la valeur du mérite et à la confiance dans l’université. Qu’une ministre s’exprime sur ce thème montre qu’il a dépassé le simple débat interne aux campus pour entrer dans le champ des politiques publiques.
Au total, ces épisodes dessinent un style d’action où la communication institutionnelle se combine à des gestes de structuration (agences, gouvernance) et à des rappels de normes (éthique, orientation, équité).
Une figure féminine dans un espace politique encore très masculin
Le parcours d’Éléonore Yayi Ladékan est aussi commenté sous l’angle de la place des femmes dans les sphères de pouvoir. Les biographies institutionnelles qui la présentent insistent sur son statut de professeure et sur ses responsabilités ministérielles. Dans le paysage politique béninois, comme dans de nombreux contextes, la représentation féminine au sommet de l’État reste un enjeu fréquemment discuté, que ce soit en nombre, en visibilité ou en poids effectif dans les décisions.
Son cas illustre une dynamique particulière : l’accès à un portefeuille stratégique par la voie des compétences académiques et administratives. Cette trajectoire contraste avec d’autres formes de carrières politiques, davantage fondées sur l’appareil partisan, les mandats électifs ou les réseaux militants. Cela ne signifie pas l’absence de politique, mais plutôt une politisation par l’expertise et la gestion de secteurs clés.
Le fait qu’elle soit régulièrement présentée comme une figure de référence, notamment dans des répertoires ou plateformes mettant en avant les compétences féminines, participe de cette lecture : au-delà de la ministre, il y a la scientifique, l’universitaire, et un modèle revendiqué dans certains espaces de valorisation du leadership féminin.
Cette dimension est importante pour comprendre l’image publique : une femme à la tête du ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique porte, symboliquement, un message sur la légitimité des femmes dans les domaines scientifiques, l’administration universitaire et la décision politique. Dans un pays où l’accès des jeunes filles aux filières scientifiques et la place des femmes dans la recherche sont des sujets suivis par de nombreuses organisations, cette symbolique peut compter, même si elle ne se substitue pas aux résultats concrets des politiques menées.



