Qui est Fozia Hashim ?

Dans un pays où la vie politique se lit moins à travers les urnes que par la permanence des institutions, Fozia Hashim occupe une place singulière. Magistrate de formation, devenue figure gouvernementale au moment de l’indépendance, elle est, depuis 1993, la ministre de la Justice de l’Érythrée. Trois décennies à la tête d’un portefeuille régalien, dans l’un des États les plus fermés du continent africain, suffisent à susciter la curiosité autant que les interrogations.

Son nom circule sous plusieurs translittérations, au gré des alphabets et des usages administratifs : Fozia, Fauzia, Fawzia ; Hashim ou Hashem. Cette variabilité dit déjà quelque chose de sa notoriété internationale, souvent limitée à des mentions institutionnelles, à des notices biographiques brèves, ou à des références dans des rapports sur la gouvernance et les droits fondamentaux. Car si sa fonction est connue, son parcours personnel l’est nettement moins : les informations publiquement établies sur son enfance, ses études, sa trajectoire avant 1993 ou même sa date de naissance restent fragmentaires.

Une magistrate devenue figure centrale de l’État érythréen

Fozia Hashim est d’abord une juriste. Les éléments biographiques les plus solidement établis la présentent comme une magistrate ayant occupé des fonctions élevées dans l’appareil judiciaire, notamment à la tête de la Haute Cour de justice d’Érythrée avant son entrée au gouvernement. Cette trajectoire, du siège vers l’exécutif, n’est pas rare dans des États où l’administration se construit dans l’urgence de l’indépendance et où les élites formées sont peu nombreuses.

L’année 1993 constitue un tournant : l’Érythrée devient officiellement indépendante et met en place un gouvernement de transition. C’est dans ce contexte que Fozia Hashim est nommée ministre de la Justice. Elle est souvent présentée comme la première titulaire du poste dans l’État nouvellement souverain, ce qui la place d’emblée au cœur de la construction institutionnelle.

La longévité exceptionnelle de son mandat attire l’attention. En Afrique, les portefeuilles ministériels changent fréquemment au gré des remaniements, des crises internes ou des alternances. En Érythrée, au contraire, la stabilité des principaux responsables gouvernementaux est une caractéristique structurelle du régime. Ce trait façonne la figure de Fozia Hashim : davantage qu’une personnalité médiatique, elle apparaît comme une technicienne de l’État, une gardienne d’un secteur stratégique, inscrite dans une continuité politique assumée.

Reste une zone d’ombre : sa vie privée et sa biographie détaillée. Des répertoires ou bases de données mentionnent parfois une année de naissance, mais sans consensus public et sans élément accessible permettant de la confirmer de manière incontestable. Dans un pays où l’information publique est rare et où l’accès des journalistes indépendants est limité, ce silence n’est pas surprenant. Il participe néanmoins à l’aura de discrétion qui entoure la ministre.

On sait aussi que, dans plusieurs notices, elle est décrite comme appartenant à une communauté musulmane d’Érythrée. Là encore, le détail varie selon les sources, et les catégorisations identitaires, très sensibles dans la Corne de l’Afrique, appellent à la prudence. Ce qui est certain, en revanche, c’est que son statut de femme à un poste régalien, depuis l’indépendance, constitue un fait politique notable dans une région où l’accès des femmes aux sommets de l’appareil d’État demeure inégal.

La justice en Érythrée : un appareil composite sous forte tutelle politique

Pour saisir l’importance de la ministre de la Justice, il faut comprendre l’environnement institutionnel dans lequel elle exerce. L’Érythrée est officiellement un État doté d’une constitution ratifiée en 1997. Mais ce texte, souvent cité comme “non mis en œuvre”, n’a pas structuré la vie politique comme le ferait une constitution appliquée et contrôlée. De nombreux observateurs relèvent l’absence d’élections nationales depuis l’indépendance, ainsi que le monopole de fait d’un seul parti autorisé, le Front populaire pour la démocratie et la justice (PFDJ). Le pouvoir exécutif, concentré autour du président Isaias Afwerki, domine l’ensemble de l’architecture étatique.

Dans ce cadre, la justice joue un rôle paradoxal. Elle devrait, en théorie, garantir l’État de droit. Mais elle est aussi un instrument de gouvernance, mobilisé pour organiser la société, arbitrer les conflits, encadrer les comportements et, selon les critiques les plus récurrentes, accompagner une répression politique et sécuritaire.

Le système judiciaire érythréen est décrit comme composite : il comprend des juridictions ordinaires et, à côté, des dispositifs spécifiques. À l’échelle locale, des tribunaux communautaires jouent un rôle important dans le règlement des litiges du quotidien. Ils sont souvent présentés comme des structures de proximité, appelées à désengorger les tribunaux classiques et à rapprocher la justice des citoyens.

Ces juridictions de base s’inscrivent dans une logique de médiation, d’accords amiables et d’ancrage dans les communautés. Elles sont supervisées par le ministère de la Justice, ce qui renforce le rôle central de la ministre. Leur fonctionnement est fréquemment décrit comme reposant sur des magistrats issus des communautés, choisis localement, parfois élus. Cela peut être présenté, côté gouvernement, comme une manière de promouvoir une justice accessible et adaptée aux réalités sociales.

Mais la présence de structures parallèles, l’opacité de certains mécanismes et le contrôle politique général alimentent aussi les inquiétudes. Des organisations internationales et des ONG de défense des droits humains évoquent des violations systématiques des garanties judiciaires, des détentions arbitraires, l’absence d’accès effectif à un avocat dans certaines situations, et un traitement extrajudiciaire de dossiers jugés “politiques”. Dans ce contexte, la ministre de la Justice se trouve au cœur d’une tension permanente : entre la vitrine institutionnelle d’un État de droit et la réalité d’un appareil sécuritaire très puissant.

Réformes, codes et justice de proximité : les chantiers attribués à Fozia Hashim

Officiellement, Fozia Hashim est associée à plusieurs chantiers structurants depuis sa nomination. L’un des plus cités est la réorganisation du système judiciaire après l’indépendance et la rédaction d’un nouveau cadre légal, notamment en matière pénale. Dans un État naissant, où se superposent héritages coloniaux, traditions coutumières, influences religieuses et transformations politiques, codifier la loi est un acte fondateur.

Le ministère de la Justice est également présenté comme un organe de validation des textes : proclamations, règlements, dispositifs juridiques. Autrement dit, il fonctionne comme un filtre normatif, chargé de donner une cohérence juridique à la production étatique. Dans les régimes fortement centralisés, ce rôle confère un pouvoir discret mais réel : celui de mettre en forme la règle, de définir les procédures, de fixer les marges de manœuvre des administrations.

Ces dernières années, le nom de la ministre apparaît aussi dans des initiatives liées à la justice dite communautaire et à la “réconciliation”. Des communications officielles rapportent qu’elle a présidé ou animé des réunions avec des comités de réconciliation dans plusieurs régions du pays, notamment depuis 2024. Ces comités, décrits comme implantés à l’échelle d’unités administratives locales, sont présentés comme des structures destinées à promouvoir la paix sociale, prévenir ou résoudre des conflits et favoriser l’harmonie au sein des communautés.

Les annonces publiques évoquent des réunions rassemblant un grand nombre de membres de ces comités, avec des consignes de fonctionnement, des bilans d’activité et un rappel des objectifs. Le vocabulaire employé met en avant la sagesse héritée des générations précédentes, l’importance de l’entente locale, et l’idée que la cohésion sociale relève aussi de mécanismes non strictement judiciaires.

À première vue, ces dispositifs peuvent rappeler, dans d’autres pays, des initiatives de médiation communautaire, de justice restaurative ou de règlement alternatif des litiges. La singularité érythréenne tient toutefois à l’encadrement étatique et au contexte politique général. Dans un pays où l’espace civique est restreint, toute structure collective d’organisation locale est susceptible d’être perçue comme un prolongement de l’État plus que comme une expression autonome de la société.

Le ministère de la Justice a également organisé, selon des communications institutionnelles, des “dialogues” ou séminaires sur la justice, le développement et les valeurs, parfois avec des intervenants universitaires. Là encore, l’objectif affiché est de réfléchir à l’intégration de valeurs nationales dans le cadre légal, et de relier la construction juridique à un projet politique de long terme.

Pris ensemble, ces éléments dessinent une ligne officielle : Fozia Hashim serait la cheville ouvrière d’une justice pensée comme un instrument d’organisation sociale, proche des communautés, fondée sur un équilibre entre textes, institutions et médiation locale. C’est précisément cette vision qui est contestée par ses détracteurs, pour qui la justice ne peut être “proche” si les garanties fondamentales ne sont pas assurées au sommet.

Une ministre dans un régime verrouillé : critiques, zones d’ombre et question des droits

Parler de Fozia Hashim implique de parler du régime dans lequel elle exerce. L’Érythrée est souvent décrite comme l’un des États les plus fermés au monde. L’absence d’élections nationales, la concentration du pouvoir, la limitation des libertés publiques et la rareté des médias indépendants forment un tableau largement documenté par des observateurs internationaux.

Dans un tel système, la justice est un enjeu central. Les critiques les plus fortes portent sur la détention arbitraire, la durée des emprisonnements sans jugement, l’absence d’accès effectif à une défense, et l’impossibilité de contester certaines décisions devant des juridictions indépendantes. Les rapports internationaux récents et les synthèses d’ONG évoquent également des disparitions forcées, des détentions au secret, et une impunité durable pour certaines violations.

La question du service national érythréen, souvent décrit comme prolongé et pouvant devenir indéfini, apparaît fréquemment dans les analyses comme un facteur majeur de fuite de la population. Même lorsque ce sujet semble relever du ministère de la Défense ou des autorités sécuritaires, il se connecte à la justice par la question de la légalité, de la coercition et des recours possibles. Les critiques associent cette situation à une atteinte structurelle aux droits fondamentaux, tandis que le gouvernement insiste sur les impératifs de sécurité et de souveraineté dans une région instable.

Dans ce contexte, quelle est la marge de manœuvre d’une ministre de la Justice ? La question est délicate, car elle suppose d’attribuer des responsabilités individuelles dans un système opaque. Ce qui peut être établi, en revanche, c’est que le ministère qu’elle dirige se situe au cœur des mécanismes normatifs et judiciaires du pays, et que son action est, de facto, indissociable de l’état général de l’État de droit.

Le paradoxe, pour l’observateur extérieur, est le suivant : une ministre de la Justice au long cours, issue de la magistrature, associée à des travaux de codification et de réorganisation judiciaire, exerce dans un pays où l’indépendance de la justice est régulièrement mise en cause. Là où, dans d’autres systèmes, le ministère de la Justice peut être un levier de réforme et de protection des libertés, il peut aussi devenir, dans un régime autoritaire, un rouage de légitimation institutionnelle.

La visibilité publique de Fozia Hashim, enfin, demeure limitée. Les rares interviews ou interventions accessibles proviennent le plus souvent de médias d’État ou de canaux institutionnels. Cela renforce l’impression d’une parole publique contrôlée, centrée sur l’unité nationale, la stabilité et le développement, plutôt que sur la transparence judiciaire ou la réforme politique.

Ce que révèle un long mandat : la permanence érythréenne et ses enjeux régionaux

Le parcours de Fozia Hashim est aussi un prisme pour lire l’Érythrée contemporaine. Son maintien au poste depuis 1993 illustre une caractéristique essentielle du pays : la permanence des structures dirigeantes issues de la période de libération et de la construction de l’État. Dans cette logique, la stabilité n’est pas seulement une conséquence, mais un choix politique.

Cette permanence se déploie dans un environnement régional complexe. La Corne de l’Afrique est marquée par des conflits, des recompositions d’alliances et des crises humanitaires. Les relations entre l’Érythrée et l’Éthiopie, en particulier, ont longtemps structuré la perception internationale du pays : guerre, tensions, puis rapprochements, sans que cela se traduise, selon de nombreux observateurs, par une ouverture politique interne significative.

Dans ce cadre, la justice peut être mobilisée comme un outil de résilience nationale : renforcer les mécanismes locaux de règlement des conflits, encadrer les litiges fonciers ou familiaux, éviter que des disputes communautaires ne dégénèrent. Les comités de réconciliation, les tribunaux de proximité et les dialogues sur les valeurs peuvent alors être présentés comme des réponses à une société sous pression, traversée par des enjeux économiques, démographiques et migratoires.

Mais cette lecture se heurte à une autre réalité : celle d’un exode durable, motivé par des facteurs économiques, politiques et par la peur de la coercition. Les mécanismes communautaires de conciliation ne répondent pas à la question fondamentale de la participation politique, du contrôle de l’exécutif, et de l’existence de contre-pouvoirs. Or, c’est précisément là que le rôle d’un ministère de la Justice prend une dimension éminemment politique.

Fozia Hashim incarne donc une ambiguïté. Elle est, d’un côté, la figure d’une construction étatique : une magistrate placée à la tête d’un ministère chargé de bâtir des codes, d’organiser des tribunaux, de diffuser des règles. De l’autre, elle demeure l’un des visages d’un système accusé de bafouer les garanties juridiques les plus élémentaires. Dans l’espace public international, cette tension nourrit une lecture critique : si la justice ne protège pas efficacement, que signifie alors l’institution ?

La réponse, en Érythrée, se trouve peut-être dans la conception même de l’État : une souveraineté défendue comme une priorité absolue, une stabilité vue comme condition de survie, et une unité nationale érigée en valeur suprême. La justice, dans ce cadre, n’est pas seulement un arbitre ; elle est un dispositif de cohésion et de contrôle. Et la ministre, loin d’être une actrice isolée, est l’une des pièces maîtresses d’une architecture politique qui, depuis l’indépendance, a choisi la continuité plutôt que l’alternance.

Au final, “qui est” Fozia Hashim ? Une ministre de la Justice dont l’identité publique se confond avec sa fonction. Une ancienne magistrate devenue l’un des piliers les plus constants de l’exécutif érythréen. Une femme d’État au long cours, peu exposée, mais régulièrement citée dès qu’il est question d’institutions, de tribunaux de proximité ou de dispositifs de médiation. Et, surtout, un symbole : celui d’un pays où le droit est proclamé, organisé et administré, mais où la question centrale, celle de l’indépendance de la justice et de la protection effective des libertés, reste au cœur des critiques internationales.

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