Qui est Gilles Nembé ?

Dans le Gabon de l’après-août 2023, marqué par une transition politique et institutionnelle accélérée, certains profils longtemps restés en retrait de la scène partisane se retrouvent propulsés au cœur de l’appareil d’État. Gilles Nembé appartient à cette catégorie d’acteurs dont le parcours s’est d’abord construit dans l’ingénierie, l’entreprise et les secteurs stratégiques, avant de basculer vers le gouvernement. Nommé ministre des Mines au début de l’année 2024, puis reconduit sous la Cinquième République, il s’inscrit dans une séquence où l’exécutif veut faire des ressources naturelles un levier de transformation économique, de production locale et de financement d’infrastructures.

Sa trajectoire, entre formation technique, expérience internationale et retour au pays à des postes de direction, éclaire la logique de recrutement d’une partie des équipes gouvernementales actuelles : privilégier des profils perçus comme opérationnels, capables de dialoguer avec les industriels, tout en portant une promesse de rupture avec les pratiques antérieures. Pour ses partisans, il incarne un pilotage plus rigoureux d’un secteur longtemps dominé par le manganèse et confronté à la question sensible de la valeur ajoutée locale. Pour ses critiques, il reste l’un des hommes d’un système de pouvoir resserré, tenu par l’exécutif, où la frontière entre technocratie et politique s’efface au profit de l’efficacité affichée.

Des bancs de l’université à l’expertise minière : une formation à cheval entre Gabon et Canada

Le parcours de Gilles Nembé s’ancre d’abord dans une trajectoire académique tournée vers les sciences et l’ingénierie. Après des études au Gabon, il poursuit sa formation au Canada, dans un environnement universitaire et technique réputé pour ses filières liées aux ressources naturelles. Cette étape, déterminante, le place au contact de méthodes de gestion des gisements et de standards industriels qui structurent une partie de l’industrie minière mondiale.

Ce cheminement est souvent cité pour expliquer sa compréhension des enjeux d’exploitation, mais aussi des contraintes de sécurité, de productivité et de rentabilité propres au secteur. Au Gabon, pays dont l’économie dépend fortement des matières premières, la maîtrise de ces paramètres pèse lourd : une décision réglementaire mal calibrée peut faire fuir l’investissement ; une permissivité excessive peut, à l’inverse, nourrir des pertes de recettes, un affaiblissement de l’État régulateur ou des tensions locales autour de l’emploi, des terres et de l’environnement.

La logique qui ressort de ce profil est celle d’un ingénieur devenu gestionnaire, puis décideur public. Cette conversion est loin d’être automatique : l’expertise technique ne suffit pas à gouverner. Mais elle constitue, dans le discours officiel, un argument central pour justifier son entrée au gouvernement : piloter les mines sans en ignorer les réalités de terrain, tout en fixant des objectifs politiques de développement.

Cette articulation entre compétence et pouvoir est particulièrement scrutée au Gabon, où la question minière est indissociable de la souveraineté économique. Le pays a longtemps été identifié comme l’un des grands producteurs mondiaux de manganèse, tandis que les projets autour du fer, de l’or ou d’autres ressources font régulièrement l’objet d’annonces et de négociations. Dans ce contexte, la figure d’un ministre issu du secteur et passé par de grands groupes est perçue comme un choix pragmatique, mais aussi comme un pari : celui de concilier attractivité pour les investisseurs et exigence de retombées locales.

Carrière privée et responsabilités de direction : Comilog, télécoms, entrepreneuriat

Avant d’entrer au gouvernement, Gilles Nembé se forge une expérience professionnelle qui combine industrie minière, fonctions commerciales et stratégiques, ainsi qu’une période d’entrepreneuriat. Son parcours est souvent présenté comme un va-et-vient entre la mine et d’autres secteurs, notamment les technologies et les services, avec une forte dimension internationale.

Dans la séquence la plus fréquemment documentée, il occupe d’abord des responsabilités liées à l’exploitation et à la gestion de gisements, au sein d’entreprises actives dans le secteur minier gabonais. L’expérience à la Compagnie minière de l’Ogooué, acteur majeur du manganèse, est régulièrement mise en avant, car elle constitue un passage structurant dans un pays où cette entreprise joue un rôle économique central, notamment dans la province du Haut-Ogooué. Cette première étape l’inscrit dans la réalité des sites d’extraction, de la gestion des équipes et des contraintes logistiques, particulièrement sensibles dans les zones éloignées des grands centres.

Vient ensuite une période d’évolution vers des postes plus transversaux, où la stratégie, le développement commercial et l’implantation de solutions techniques deviennent des thèmes dominants. La biographie officielle le décrit comme ayant exercé des fonctions dans des groupes internationaux, avec un accent sur le déploiement de systèmes de télécommunication à l’étranger. Ce détour par le numérique et les réseaux peut paraître éloigné des mines, mais il renvoie à une réalité désormais incontournable : la modernisation de l’administration minière, la traçabilité des flux, la collecte des taxes, ou encore la surveillance des sites reposent de plus en plus sur des systèmes d’information.

Son passage par l’entrepreneuriat, avec la création d’une entreprise orientée vers des solutions de paiement et de services mobiles, complète ce tableau. Dans le récit institutionnel, cela sert à dessiner un profil d’innovateur et de gestionnaire, habitué à construire des projets et à mobiliser des partenaires. Dans une lecture plus politique, cet élément permet aussi de comprendre comment un acteur peut se positionner comme interface entre l’État et le secteur privé, en parlant le langage des investisseurs et celui des administrations.

Le retour au Gabon, à partir de la fin des années 2010, marque une phase où il réintègre des fonctions de direction dans des structures liées à l’économie nationale. Cette dynamique est importante : elle signale qu’avant même son entrée au gouvernement, il se situe déjà dans un espace où l’expertise industrielle se rapproche des priorités publiques. L’État gabonais, comme d’autres États de la région, a régulièrement cherché à recruter des profils issus du privé pour piloter des chantiers jugés stratégiques, qu’il s’agisse d’infrastructures, de transformation industrielle ou de numérique.

Le basculement vers l’État : SPIN, puis ministère des Mines au cœur de la transition

L’entrée de Gilles Nembé dans les responsabilités publiques se fait d’abord par des fonctions de direction dans des structures liées à l’État, avant de se traduire par une nomination ministérielle. Dans la biographie institutionnelle, l’un des jalons est sa nomination à la tête de la Société de Patrimoine des Infrastructures Numériques, un outil associé à la gestion d’infrastructures numériques et à la modernisation de certains services.

Ce passage est révélateur d’une logique : l’État gabonais cherche à consolider ses infrastructures, ses réseaux et ses capacités de gouvernance dans des secteurs dont dépend la modernisation administrative. En toile de fond, il y a l’idée que les mines, elles aussi, doivent être administrées différemment : mieux connaître les volumes, mieux suivre les permis, mieux contrôler les acteurs et mieux intégrer les circuits de production informels, en particulier dans l’orpaillage.

Le tournant majeur intervient en janvier 2024, quand il est nommé au gouvernement en tant que ministre des Mines. Le pays est alors dirigé par les autorités de transition, dans une phase où l’exécutif réorganise rapidement l’administration et redéfinit ses priorités. À ce poste, le nouveau ministre hérite d’un portefeuille sensible : le secteur minier, au-delà du manganèse, se trouve au croisement des ambitions de diversification économique, des tensions sociales locales, de la question environnementale, et de la gouvernance des permis.

Sa reconduction dans les mois suivants, puis son maintien dans l’équipe gouvernementale sous la Cinquième République, s’inscrit dans la continuité de cette orientation. Dans le discours officiel, la stabilité à la tête des Mines doit permettre de tenir des objectifs de moyen terme : structurer les filières, attirer des investissements, sécuriser les recettes et développer la transformation locale.

Pour un ministre, la difficulté est double. D’une part, il faut convaincre des acteurs industriels déjà installés, parfois très puissants, de s’engager davantage dans la valeur ajoutée locale. D’autre part, il faut gérer des acteurs plus informels, comme l’artisanat minier, l’orpaillage ou les activités de sous-traitance, tout en évitant que la régulation ne devienne une simple répression, source de tensions. Les épisodes de crispation autour de certains sites et de projets miniers rappellent que le ministère ne se limite pas à la signature de conventions : il doit aussi intervenir comme médiateur et arbitre, parfois en situation de crise.

Dans cette phase politique, les ministres sont aussi évalués à l’aune de leur capacité à traduire la volonté présidentielle. Le Gabon, engagé dans une reconfiguration institutionnelle, met en scène une centralité forte de l’exécutif. Le ministère des Mines devient alors un instrument clé, puisque l’idée de souveraineté économique et de transformation locale est régulièrement brandie comme une promesse de rupture et de redistribution des richesses.

Une ligne d’action : souveraineté minière, transformation locale et encadrement des filières

L’action attribuée à Gilles Nembé, telle qu’elle apparaît dans les communications officielles et les comptes rendus d’activité relayés par la presse, s’articule autour de trois axes : renforcer la souveraineté de l’État sur les ressources, pousser la transformation locale, et encadrer les filières, notamment celles où l’informel pèse lourd.

La transformation locale est l’un des mots-clés. Dans un pays où l’exportation brute de matières premières a longtemps structuré l’économie, la promesse de traiter davantage sur place vise plusieurs objectifs : créer des emplois, développer une base industrielle, et augmenter les recettes fiscales par une valeur ajoutée accrue. Sur le papier, la logique est robuste. Dans la réalité, elle suppose des investissements lourds, de l’énergie disponible à coût maîtrisé, des infrastructures logistiques fiables, et une stabilité réglementaire. Le ministère se retrouve donc à la croisée d’autres politiques publiques : énergie, transports, ports, formation technique, environnement.

Le second axe est la régulation des filières, en particulier l’or, dont l’exploitation artisanale est souvent associée à des enjeux de traçabilité, de sécurité et de recettes publiques. Encadrer une filière aurifère ne se limite pas à délivrer des titres : cela suppose d’enregistrer les acteurs, d’organiser des circuits d’achat légal, de lutter contre les exportations illicites et d’éviter que des tensions n’opposent populations locales, entreprises et autorités. Dans certains cas, le ministère se retrouve confronté à des conflits où la légalité des opérations et la sécurité deviennent des priorités immédiates, au risque de polariser les débats.

Le troisième axe tient à la manière dont l’État se positionne face aux grands groupes. Dans le manganèse, les relations avec les opérateurs historiques, dont certains sont liés à des groupes internationaux, sont cruciales. Dans les projets de fer, l’État doit arbitrer entre promesses d’investissements, clauses de transformation, et retombées pour les territoires. La question des infrastructures associées aux grands projets miniers est centrale : routes, énergie, parfois ports ou rail. L’idée affichée est de faire des mines un levier de financement et de réalisation d’infrastructures utiles aux communautés, et non un simple moteur d’exportation.

Cette stratégie, cependant, expose à des critiques classiques. Les partisans de la transformation locale rappellent que sans obligation claire, l’industrie peut continuer à exporter brut. Les sceptiques soulignent que des exigences trop fortes peuvent ralentir les projets, surtout si l’environnement des affaires est jugé incertain. Entre ces deux pôles, un ministère des Mines se retrouve souvent à négocier : fixer un cap politique, mais ménager la faisabilité économique.

Dans ce cadre, le rôle d’un ministre consiste autant à produire des textes et des décisions qu’à incarner une narration : celle d’un État qui reprend la main. La communication autour des audiences avec des délégations étrangères, des partenariats industriels ou des réformes administratives sert à matérialiser cette reprise de contrôle. Mais, pour l’opinion, la question demeure concrète : les emplois augmentent-ils, les recettes progressent-elles, les infrastructures se réalisent-elles, et les populations des zones minières y gagnent-elles en services publics ?

Statut, entourage et séquence politique récente : un ministre sous le regard du pays

La période récente place Gilles Nembé dans une situation particulière : en plus de son portefeuille aux Mines, il s’est vu confier des intérims sur d’autres ministères, dans un contexte où des membres du gouvernement ont dû quitter leurs fonctions après leur élection à l’Assemblée nationale, en application des règles d’incompatibilité. Ce phénomène, qui peut paraître technique, est politiquement révélateur : il montre le niveau de recomposition institutionnelle, mais aussi la centralité d’un cercle de ministres capables d’absorber des charges supplémentaires.

Assurer un intérim ne signifie pas seulement signer des documents. Cela implique de gérer, même temporairement, des administrations lourdes, des dossiers urgents et des arbitrages budgétaires. Dans le cas présent, les secteurs concernés, transports, eau, énergie, industrie, sont au cœur du quotidien des Gabonais. La pression sociale y est forte : routes, sécurité routière, approvisionnement en eau, électricité, coûts de production, logistique. Le fait de confier ces intérims à un ministre déjà chargé des Mines envoie un message : l’exécutif privilégie une continuité administrative et une concentration du pilotage, mais prend aussi le risque d’un encombrement de responsabilités.

À cela s’ajoute la dimension personnelle et relationnelle, souvent scrutée dans les systèmes politiques où les réseaux comptent. La biographie publique mentionne un lien familial avec une figure de l’entourage présidentiel, élément qui alimente inévitablement des lectures politiques sur les équilibres internes du pouvoir. Dans le débat public, ces liens peuvent être interprétés de deux façons : comme la preuve d’une proximité qui facilite l’action, ou comme un signe de concentration du pouvoir au sein de cercles restreints.

Au-delà des considérations d’entourage, l’essentiel reste la capacité à produire des résultats mesurables. Sur le plan minier, le gouvernement est attendu sur des chantiers concrets : clarification des règles, contrôle des permis, retombées pour les localités, sécurisation des recettes, et accélération des projets structurants. Or ces dossiers sont souvent lents, soumis à des négociations complexes, et exposés à des aléas internationaux : prix des métaux, demande mondiale, normes environnementales, concurrence entre pays producteurs.

C’est aussi ce qui rend l’évaluation d’un ministre délicate. Un portefeuille comme les Mines est tributaire d’éléments qui dépassent largement les frontières nationales. Mais il reflète, en interne, la crédibilité d’un État qui promet de transformer son modèle. Dans une transition où la légitimité se construit autant par les urnes que par la capacité à améliorer le quotidien, le secteur minier est devenu un terrain d’épreuve.

En définitive, Gilles Nembé apparaît comme l’un des symboles d’une gouvernance qui met en avant la compétence technique et l’orientation vers la production locale. Son parcours, de l’ingénierie à la décision politique, s’inscrit dans une stratégie plus large : repositionner le Gabon comme un pays qui ne se contente plus d’extraire, mais cherche à industrialiser une partie de sa richesse. Reste une question, déterminante pour la suite : cette ambition se traduira-t-elle par des usines, des emplois et des infrastructures visibles, ou restera-t-elle un horizon politique constamment repoussé par les contraintes, les intérêts en jeu et la complexité des réformes ?

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