Qui est Laurence Ndong ?

Pendant longtemps, Laurence Ndong a été, depuis la France, l’une des figures les plus visibles de la diaspora gabonaise engagée dans le débat public. Enseignante-chercheuse, activiste, pasteure pentecôtiste et autrice, elle s’est d’abord inscrite dans les réseaux du Parti démocratique gabonais (PDG), avant de rompre avec ce parti et de se rapprocher de l’opposition. Son retour au Gabon, dans le contexte du coup d’État d’août 2023, a marqué un tournant spectaculaire : en quelques jours, celle qui commentait et contestait le pouvoir depuis l’étranger est devenue ministre, puis porte-parole du gouvernement de transition, avant d’être reconduite dans l’exécutif de la Cinquième République au printemps 2025. Depuis, son parcours cristallise à la fois les espoirs d’une partie de l’opinion, qui voit en elle une personnalité de rupture, et les critiques d’autres acteurs, qui questionnent la frontière entre militantisme, communication institutionnelle et exercice du pouvoir.

Une enfance entre plusieurs appartenances, une trajectoire académique affirmée

Laurence Ndong naît le 19 octobre 1971 à Douala, au Cameroun, sous le nom de Laurence Mbango. Son histoire personnelle s’inscrit d’emblée dans une réalité fréquente en Afrique centrale : les circulations familiales et professionnelles entre pays voisins, et les identités administratives qui évoluent au fil des années. D’un père gabonais et d’une mère camerounaise, elle grandit ensuite au Gabon, où son état civil et son nom changent à la suite d’une reconnaissance paternelle au milieu des années 1970, un élément qui reviendra plus tard dans certaines controverses publiques, tant la question de la nationalité est politiquement sensible au Gabon.

Sur le plan de la formation, son parcours est d’abord celui d’une étudiante et d’une future enseignante, avant de devenir celui d’une chercheuse. Elle passe par l’Université des sciences et techniques de Masuku ainsi que par l’École normale supérieure de Libreville, ce qui l’ancre dans le système d’enseignement gabonais avant son départ pour l’Europe. Elle commence sa carrière dans l’enseignement secondaire, en tant que professeure de sciences de la vie et de la Terre, à partir du milieu des années 1990.

Le mouvement décisif intervient en 2002, lorsqu’elle s’installe en France. Ce départ, lié à la vie familiale, ouvre aussi une séquence de montée en qualification universitaire. Elle obtient un doctorat en sciences de l’éducation, avec une spécialisation en didactique des sciences, à l’Université Paris Descartes. Ce profil, relativement rare dans les sphères politiques gabonaises, deviendra un marqueur de son image publique : celui d’une responsable politique qui revendique une compétence académique et une capacité à structurer un discours, en s’appuyant sur la pédagogie, la formation et le langage de la recherche.

Cette dimension intellectuelle est importante pour comprendre son style : Laurence Ndong se présente souvent comme quelqu’un qui veut expliciter, démontrer, convaincre, et qui revendique un rôle d’intermédiation entre l’État et la société. Dans un pays où la politique est longtemps restée structurée par des loyautés et des réseaux, cette approche se veut rationnelle et didactique, même si elle se heurte à la brutalité des rapports de force.

De l’administration à la société civile : un engagement construit sur le genre, l’éducation et le religieux

Avant d’être associée aux grandes joutes politiques de la décennie 2010, Laurence Ndong a d’abord occupé des fonctions administratives liées aux politiques publiques en faveur des femmes. Proche de la ministre Victoire Lasseni-Duboze, elle est nommée directrice générale adjointe de la Promotion de la femme à la fin des années 1990, une expérience qui la familiarise avec la machine administrative et les enjeux de politiques sociales. Cette étape, souvent moins commentée que ses prises de position ultérieures, éclaire pourtant une part de son agenda : l’approche “genre et développement”, la question de l’accès des jeunes à l’éducation, et la situation des veuves et des orphelins dans un pays où les droits sociaux se heurtent aux pratiques et aux fragilités institutionnelles.

Installée en France, elle maintient un pied dans la société civile gabonaise et développe des initiatives associatives. Elle fonde notamment une association tournée vers l’accès des jeunes à l’éducation, puis un collectif axé sur les droits et l’accompagnement des conjoints survivants et de leurs enfants. Dans ce champ, elle est identifiée comme une actrice de plaidoyer, qui tente de relier les réalités sociales à une grammaire de droits.

Une autre dimension, plus singulière dans un portrait de responsable gouvernementale, concerne son engagement religieux. Avec son époux, elle participe à la fondation d’une structure pentecôtiste en région parisienne. Dans l’espace public gabonais, où les Églises jouent un rôle social réel et parfois politique, cette identité de pasteure est à la fois une ressource et un point de débat. Ressource, parce qu’elle lui offre une légitimité auprès d’une partie des croyants et un langage moral pour parler de gouvernance et d’éthique. Point de débat, parce que certains y voient un mélange des registres, ou s’inquiètent de l’influence des convictions religieuses sur la conduite de l’action publique.

À cela s’ajoute un élément de biographie souvent mis en avant : sa vie familiale. Mariée très jeune, elle a cinq enfants. Ce fait, rappelé régulièrement dans les profils qui lui sont consacrés, sert aussi une narration de proximité : celle d’une femme qui se présente comme ancrée dans la réalité des familles, tout en ayant mené une trajectoire internationale.

Du PDG à l’opposition : la rupture politique et la construction d’une figure médiatique

Laurence Ndong n’entre pas en politique en 2023 : son histoire avec les partis remonte aux années 1990 et 2000. Elle est membre du PDG, la formation au pouvoir pendant des décennies, et y exerce des responsabilités au sein de réseaux de la diaspora. Cette période illustre une réalité fréquente : une partie des cadres gabonais installés à l’étranger conserve des liens avec l’appareil partisan, que ce soit par conviction, par fidélité, ou par stratégie.

Mais la trajectoire bascule au milieu des années 2010. Laurence Ndong quitte le PDG en 2015 et se place progressivement dans le camp de l’opposition au président Ali Bongo. Elle explique cette rupture dans des interventions publiques et dans ses écrits, où elle accuse le système politique d’étouffer l’alternance et d’entretenir une crise de confiance entre gouvernés et gouvernants. En 2016, lors de l’élection présidentielle contestée, elle devient porte-parole de Jean Ping, figure de l’opposition. Après le scrutin et la crise post-électorale, elle s’exprime dans les médias, y compris à l’international, sur les violences et les accusations de fraude.

C’est là qu’elle acquiert une visibilité particulière : celle d’une voix gabonaise installée en France, capable d’occuper l’espace médiatique, de parler aux chaînes internationales et de structurer un récit accessible à des publics non spécialistes. Cette capacité de communication est un capital politique. Dans un monde où les réseaux sociaux et les médias transnationaux comptent autant que les meetings locaux, la diaspora devient une caisse de résonance, et Laurence Ndong s’y construit une image de commentatrice engagée.

En 2020, elle prend la tête d’une structure associative présentée comme un instrument de défense de la démocratie au Gabon. Dans ses prises de position, elle insiste alors sur la nécessité d’élections crédibles, sur la transparence et sur la dénonciation des manipulations. Lors de la présidentielle gabonaise de 2023, avant le coup d’État, elle est active en ligne, soutenant un candidat de l’opposition et participant à la circulation d’informations qui, selon ses partisans, étaient marginalisées dans les médias nationaux. Cette séquence lui vaut aussi d’être la cible de critiques et d’attaques numériques, révélant le climat de polarisation autour des élections.

Cette période éclaire un trait central : Laurence Ndong est à la fois une actrice politique et une actrice de communication. Elle a appris, dans l’opposition, à parler en termes d’images, de symboles, de dénonciation et de mobilisation. Lorsque l’histoire la ramène au Gabon en 2023, ce savoir-faire devient utile à l’État, mais il suscite aussi une interrogation : comment passe-t-on du rôle de dénonciatrice à celui de garante d’une parole officielle ?

Août 2023 : le retour au Gabon et l’entrée au gouvernement de transition

Le 30 août 2023, un coup d’État met fin au pouvoir d’Ali Bongo, quelques heures après l’annonce de résultats électoraux contestés. Dans les jours qui suivent, le nouveau pouvoir met en place une transition et recompose l’exécutif. Laurence Ndong revient alors au Gabon après plus de vingt ans passés en France, et son intégration rapide au gouvernement devient l’un des symboles de cette période : celui d’un appel à des figures de la diaspora et de l’opposition pour incarner un changement de style et de discours.

Le 10 septembre 2023, elle est nommée ministre en charge des nouvelles technologies de l’information et de la communication, et porte-parole du gouvernement de transition. L’image est forte : une opposante médiatique devient la voix officielle du pouvoir, chargée d’expliquer, de justifier et de “tenir le micro” dans un contexte international scruté.

À ce poste, son rôle est multiple. Elle doit d’abord installer une parole gouvernementale, dans un pays où la méfiance envers l’information officielle a été nourrie par des décennies de crises politiques. Ensuite, elle doit rassurer à l’extérieur, alors que la communauté internationale s’interroge sur la nature du changement : rupture démocratique ou simple reconfiguration interne. Enfin, elle doit gérer la relation avec la presse locale et les médias étrangers, dans un moment où la question de la liberté de la presse est très observée.

En janvier 2024, un remaniement modifie l’architecture ministérielle : le portefeuille des nouvelles technologies est séparé et transféré à un autre ministre, tandis que Laurence Ndong conserve le champ de la communication et des médias, et reste porte-parole du gouvernement. Cette réorganisation peut se lire comme une rationalisation technique, mais aussi comme un signal politique : on la maintient là où son capital est le plus fort, la communication, au cœur du pilotage symbolique de la transition.

Un nouveau changement survient en janvier 2025 : elle demeure ministre de la Communication et des Médias, mais perd la fonction de porte-parole du gouvernement, confiée à une autre personnalité. Cette séquence montre que, même au sein d’un même camp, la distribution des rôles est mouvante. La parole officielle est une arme stratégique, et la confier ou la retirer est un acte politique en soi.

De la communication à l’économie bleue : continuités, controverses et repositionnements jusqu’à fin 2025

Le 5 mai 2025, après l’investiture de Brice Clotaire Oligui Nguema à la présidence dans le cadre de la Cinquième République, un nouveau gouvernement est formé. Laurence Ndong change alors de portefeuille : elle devient ministre de la Mer, de la Pêche et de l’Économie bleue, tout en retrouvant la fonction de porte-parole du gouvernement. Ce déplacement est révélateur. D’un côté, il peut apparaître comme une récompense, avec un ministère économique stratégique dans un pays où le littoral, la pêche, les ressources halieutiques et la souveraineté alimentaire deviennent des enjeux de croissance et de coût de la vie. De l’autre, il maintient un élément essentiel : sa présence au centre du dispositif de communication, puisqu’elle reprend la mission d’incarner la parole gouvernementale.

Sur le fond, l’économie bleue est un champ où les symboles comptent : valorisation des ressources marines, modernisation de la pêche artisanale, structuration des filières, et promesse d’emplois. Dans les mois qui suivent sa nomination, des déplacements et des annonces publiques mettent en avant la volonté de moderniser les structures, d’organiser des directions générales et de renforcer la production locale, y compris par l’aquaculture. La politique maritime, au Gabon, touche aussi à la sécurité, à la lutte contre la pêche illégale et au contrôle des zones économiques exclusives, même si ces dossiers dépassent largement la seule communication.

Mais Laurence Ndong reste une personnalité clivante, et certaines controverses ont accompagné son passage au gouvernement. Une polémique a éclaté en 2024 autour de la nomination de son époux à un poste de direction dans une structure liée aux infrastructures numériques, suscitant des accusations de conflit d’intérêts et des débats publics sur la gouvernance et la transparence. Cette affaire, commentée dans la presse gabonaise, illustre la difficulté, pour un pouvoir de transition qui se veut exemplaire, de convaincre dès qu’apparaît un soupçon de favoritisme, même indirect.

Dans le même temps, son bilan dans le champ de la communication a été largement discuté. Ses partisans soulignent des initiatives liées au fonctionnement des structures sous tutelle, à la relance de certains médias et à la lutte contre la fracture numérique dans les zones moins desservies, ainsi qu’une volonté affichée de normaliser les relations entre l’État et la presse. Ses critiques mettent plutôt en avant les tensions inhérentes à la gestion de la communication gouvernementale en période de transition : arbitrages sur les subventions, rapports de force avec les groupes de presse, et perception d’une parole officielle parfois trop offensive.

La fin de l’année 2025 est marquée par un contexte institutionnel chargé, avec des échéances électorales et des réaménagements gouvernementaux. Des dispositifs d’intérim sont mis en place pour assurer la continuité de l’action publique, dans un paysage où plusieurs membres du gouvernement sont appelés à d’autres fonctions ou doivent se conformer à des exigences institutionnelles. Dans ce cadre, la configuration de certains portefeuilles et des fonctions de porte-parole évolue, avec une centralisation provisoire de responsabilités entre les mains de figures de premier plan du gouvernement.

Au total, la biographie de Laurence Ndong raconte plus qu’un itinéraire individuel. Elle dit quelque chose du Gabon des années 2020 : un pays traversé par la question de la légitimité politique, par le poids de la diaspora, par la bataille des récits et par la recherche d’une nouvelle architecture institutionnelle. Elle incarne aussi un paradoxe : celui d’une opposante devenue actrice d’État, appelée à défendre une parole officielle après avoir longtemps critiqué l’opacité du pouvoir. Pour certains, c’est la preuve qu’une transition peut intégrer des voix différentes et ouvrir des portes à des profils atypiques. Pour d’autres, c’est le rappel que la politique gabonaise reste, malgré les changements, un espace où la communication est aussi déterminante que les réformes de fond.

Quoi qu’on pense de sa trajectoire, une évidence demeure : Laurence Ndong s’est imposée comme l’un des visages les plus identifiables du nouveau cycle gabonais. Son avenir dépendra autant de son aptitude à produire des résultats dans des secteurs concrets, comme la mer et la pêche, que de sa capacité à tenir une parole gouvernementale crédible dans un pays qui, depuis des décennies, attend que le discours se traduise enfin en transformations durables.

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