Qui est Ouloufa Ismail Abdo ?

À Djibouti, les visages de l’exécutif ne se renouvellent pas toujours par rupture, mais souvent par glissement progressif : des profils techniciens, rompus aux rouages administratifs, finissent par occuper des postes où l’on gouverne autant qu’on arbitre. Ouloufa Ismail Abdo s’inscrit dans cette logique. Juriste de formation, passée par des responsabilités publiques avant d’accéder à un rôle de régulation sensible, puis propulsée à la tête d’un ministère social majeur, elle incarne un itinéraire où l’expertise et la loyauté institutionnelle comptent autant que le sens politique.

Depuis mai 2021, elle occupe le portefeuille des Affaires sociales et des Solidarités, un ministère placé au centre de la lutte contre la pauvreté, de la protection sociale et de l’action de proximité. Sa nomination intervient dans un contexte d’affichage d’une plus grande place donnée aux femmes au sein du gouvernement, mais aussi au moment où l’État cherche à consolider ses dispositifs sociaux et à répondre à des vulnérabilités structurelles : précarité, sécheresses, disparités territoriales, besoins d’accès aux soins, et attentes croissantes d’efficacité. Dans ce paysage, Ouloufa Ismail Abdo est devenue une figure à la fois visible et contrainte : visible parce que l’action sociale oblige à se montrer sur le terrain, contrainte parce que les promesses sociales sont, partout, les plus difficiles à tenir.

Une juriste formée en France, façonnée par l’administration et les institutions

Le parcours d’Ouloufa Ismail Abdo s’ancre d’abord dans l’État avant de se déployer dans l’espace politique. Son profil est celui d’une juriste, formée à l’université de Reims, en France, et qui fait ensuite carrière au sein de l’appareil public djiboutien. Cette trajectoire éclaire une constante : la maîtrise des textes, des procédures et des équilibres institutionnels, qui demeure un atout essentiel dans un pays où la stabilité politique repose aussi sur la solidité des administrations.

Bien avant son entrée au gouvernement, son nom apparaît dans des dispositifs officiels et des instances de gouvernance. Elle a, à plusieurs moments, été associée à la Primature : on la retrouve notamment citée comme conseillère juridique du Premier ministre dans un arrêté portant création d’un comité national d’organisation d’un séminaire de réflexion sur l’action gouvernementale (période 2002-2009). Dans la même décennie, elle est également nommée représentante de la Primature dans des conseils d’administration, notamment celui de l’Office national de l’eau et de l’assainissement de Djibouti (ONEAD) et celui de la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS). Ces fonctions ne relèvent pas de la politique de tribune, mais d’une pratique plus discrète : celle des conseils, des arbitrages, de la coordination, du suivi des politiques publiques.

À ce socle administratif s’ajoute une étape importante : la direction de l’Office djiboutien de la propriété intellectuelle et commerciale (ODPIC). Ce type d’institution, à la croisée du droit, de l’économie et de la régulation, renforce un profil déjà orienté vers les secteurs où l’État encadre, organise et tranche. Diriger un office de cette nature suppose d’articuler la norme et la pratique, d’être en relation avec le monde économique, et de manier la décision dans des dossiers techniques.

Cette montée en responsabilité, progressive et institutionnelle, prépare la transition vers un autre registre : celui de la communication publique et de la régulation des médias, un champ politiquement sensible parce qu’il touche à la pluralité, aux élections, à la parole publique et à la perception internationale du pays.

La Commission nationale de la communication : réguler les médias dans un pays sous tension démocratique

Avant de devenir ministre, Ouloufa Ismail Abdo s’est surtout imposée dans l’espace public par sa présidence de la Commission nationale de la communication (CNC). Créée par la loi en mars 2016, la CNC est présentée comme une instance chargée de veiller à la bonne gouvernance de l’information et à l’accès équitable aux médias, notamment en période électorale. Dans un paysage médiatique où la question de l’indépendance, des règles professionnelles et de l’équilibre entre liberté et encadrement nourrit des débats récurrents, la CNC occupe une place stratégique.

Dans des prises de parole accordées à la presse nationale, elle insiste sur une définition élargie du rôle de la CNC. Elle réfute une lecture purement répressive ou policière de la régulation : la commission, explique-t-elle, n’est pas seulement un organe de contrôle, mais une institution indépendante qui participe à l’élaboration de règles, conseille l’État sur des réformes, et travaille sur des textes liés à la déontologie du journalisme, à la carte de presse ou encore à la répartition du temps d’antenne en période électorale. Cette approche, très institutionnelle, vise à légitimer la régulation non comme une contrainte arbitraire, mais comme un cadre destiné à garantir l’équité, l’impartialité et la pluralité.

La CNC revendique également un rôle dans l’accompagnement des échéances électorales. Sous sa présidence, l’institution met en avant la supervision de rendez-vous politiques majeurs, dont les élections régionales de 2016 et les législatives de 2018. L’enjeu, dans ce type de mission, dépasse la technique : il s’agit d’éviter que la compétition politique ne se transforme en bataille de récits incontrôlée, et de limiter les déséquilibres d’accès aux médias, souvent accusés de favoriser la majorité.

Le contexte des réseaux sociaux ajoute un autre niveau de complexité. Dans ses interventions, Ouloufa Ismail Abdo insiste sur la question des fausses informations et sur la nécessité de réformes de l’information et de la communication pour permettre au citoyen de s’informer et de se forger une opinion. Ce discours, que l’on retrouve dans plusieurs pays, prend une tonalité particulière à Djibouti : la lutte contre la désinformation peut être présentée comme une exigence de protection démocratique, mais elle peut aussi être interprétée comme un outil de contrôle si elle n’est pas entourée de garanties. Dans ce champ, toute parole de régulateur est scrutée, tout comme la manière dont les règles sont appliquées.

Il faut noter un point clé : si sa nomination à la tête de la CNC est documentée par un décret de 2020 portant composition de l’institution, des récits publiés dans la presse décrivent aussi son rôle à la CNC sur une période allant de 2016 à mai 2021. Dans cette séquence, elle devient l’un des visages de la régulation, ce qui la place, de fait, dans l’orbite des décisions politiques, au contact de l’exécutif, des partis, des médias et des moments électoraux.

Mai 2021 : l’entrée au gouvernement et la prise en main d’un portefeuille social central

Le 24 mai 2021 marque une bascule : un décret portant nomination des membres du gouvernement la désigne ministre des Affaires sociales et des Solidarités. Le lendemain, 25 mai, une cérémonie de passation est organisée entre la ministre sortante et la nouvelle titulaire du portefeuille, en présence du Premier ministre et du secrétariat général de la Primature. Dans la mécanique djiboutienne, ces gestes sont importants : ils scellent la continuité de l’État tout en signalant un changement de pilote.

Cette nomination s’inscrit dans un contexte plus large de remaniement et de recomposition de l’équipe gouvernementale, avec une visibilité accrue de femmes à des postes considérés comme structurants. Pour Ouloufa Ismail Abdo, le changement de registre est net : passer de la régulation de la communication à l’action sociale revient à quitter un domaine d’arbitrage normatif pour un terrain de résultats concrets, de budgets, de dispositifs, et d’attentes quotidiennes.

Le ministère des Affaires sociales et des Solidarités est souvent décrit comme un “ministère du réel”. Il touche aux ménages, à la précarité, aux filets de sécurité, à l’aide directe, à l’accès aux soins, à l’appui aux étudiants des régions, et à l’animation de politiques de solidarité nationale. Il est aussi au croisement d’autres priorités publiques : emploi, formation, développement local, inclusion territoriale. Un tel portefeuille peut être politiquement exposé, car il cristallise la mesure entre promesses et vécu.

Les premiers mois de prise de fonction donnent le ton : la ministre multiplie les séquences de “prise de contact” avec les structures sous tutelle, dont l’Agence djiboutienne de développement social (ADDS), présentée comme organe d’exécution d’une partie de la politique sociale. Les communications officielles insistent sur la logique de proximité, de suivi des équipes et de compréhension des programmes. Ces mises en scène, fréquentes dans la vie gouvernementale, répondent aussi à une nécessité : montrer que le ministère se pilote, qu’il se déploie et qu’il n’est pas seulement un guichet d’annonces.

Dans ce nouvel espace, la ministre hérite également d’un agenda national : la Semaine nationale de la solidarité, organisée sur le terrain dans les régions, devenue un moment de visibilité et de mobilisation autour de l’action sociale. Elle y apparaît aux côtés d’autorités locales, de préfets, de conseils régionaux et de députés, et ces déplacements illustrent l’un des défis récurrents : articuler la capitale et l’intérieur, le centre et les périphéries, l’action de l’État et les réalités des districts.

Une action sociale structurée par des programmes : transferts, santé, étudiants, développement local

L’une des manières de comprendre le rôle d’Ouloufa Ismail Abdo consiste à regarder les principaux programmes sociaux dont son ministère porte la communication et le suivi. Dans une interview accordée à la presse nationale en janvier 2025, elle dresse un panorama de dispositifs présentés comme des piliers de la solidarité nationale.

Parmi eux figure le Programme national de solidarité famille (PNSF), lancé en 2016, qui vise à fournir des transferts monétaires réguliers aux ménages les plus démunis et à agir comme filet de sécurité, notamment pour la sécurité alimentaire et nutritionnelle. L’idée est classique : une aide directe, régulière, qui stabilise les budgets domestiques et réduit les risques de basculement dans l’extrême précarité. Dans les pays où l’informel domine et où les mécanismes assurantiels sont limités, ces transferts jouent un rôle de protection, mais ils exigent une gestion rigoureuse : ciblage, suivi, transparence, évaluation.

Un autre dispositif mis en avant est le Programme d’assistance sociale de santé (PASS), présenté comme un outil orienté vers la couverture maladie universelle, permettant à des familles vulnérables d’accéder à des soins sans craindre des charges financières insoutenables. Là encore, l’enjeu est double : social, par la réduction des inégalités d’accès, et financier, car l’extension de la couverture implique une coordination avec le système de santé, la maîtrise des coûts et la capacité administrative à traiter les droits.

Elle cite également l’ASERI, un programme d’assistance destiné aux étudiants issus des régions de l’intérieur, lancé en 2013, qui accompagne ceux qui doivent rejoindre la capitale pour poursuivre leurs études. Ce point est politiquement sensible : à Djibouti, la question des disparités territoriales et de la concentration des services à Djibouti-ville nourrit des attentes fortes. Aider les étudiants des régions revient à répondre à un impératif d’égalité des chances, mais aussi à un enjeu de cohésion nationale.

À ces dispositifs s’ajoutent les projets communautaires de développement, élaborés en concertation avec les communautés, et qui relèvent d’une logique d’intervention localisée : infrastructures de base, appuis aux activités génératrices de revenus, actions de proximité. L’ADDS est souvent mentionnée comme un outil d’exécution dans cette logique, avec une mission affichée de lutte contre la pauvreté et la vulnérabilité par des projets de développement durable.

La Semaine nationale de la solidarité fonctionne, dans ce cadre, comme une vitrine mais aussi comme un moment d’écoute. Les reportages et comptes rendus officiels décrivent des échanges avec les populations, des visites de sites financés, des doléances recueillies, et des annonces d’infrastructures communautaires. On retrouve là un style de gouvernance fréquent : la “caravane” sociale qui matérialise l’État, rend visibles les dispositifs, et installe une relation de proximité.

Pour un ministère de ce type, la difficulté réside dans la transformation du récit en résultats. Les transferts monétaires soulagent, mais ils doivent s’inscrire dans une stratégie d’autonomisation pour ne pas se limiter à une assistance permanente. Les programmes de santé réduisent les barrières, mais ils exigent des capacités médicales suffisantes et une gouvernance forte. Les projets communautaires répondent à des besoins concrets, mais la demande dépasse presque toujours les moyens. La ministre, dans ses interventions, insiste sur l’orientation vers des solutions durables et l’autonomisation, une manière de dire que la solidarité vise aussi à réduire la dépendance.

Diplomatie sociale, partenariats et défis : de la coopération internationale aux urgences nationales

Le champ social ne se limite pas à la redistribution interne : il se joue aussi dans la diplomatie et les partenariats. Ouloufa Ismail Abdo apparaît régulièrement dans des séquences de coopération, qu’il s’agisse de rencontres bilatérales ou de missions à l’étranger.

Sur le plan bilatéral, elle reçoit par exemple l’ambassadeur du Japon à Djibouti et évoque la stratégie nationale de protection sociale, tout en discutant des synergies possibles avec la coopération japonaise. Les domaines mentionnés dans les communications officielles — infrastructures, sécurité alimentaire, santé, développement des PME, renforcement d’associations locales — montrent la largeur du périmètre : la protection sociale, à Djibouti, est pensée en articulation avec l’économie et le développement, pas seulement comme une aide ponctuelle.

La ministre est aussi mobilisée dans des missions de représentation. Fin 2024, elle se rend à Bangui comme envoyée spéciale du président de la République dans le cadre d’actions diplomatiques visant à promouvoir une candidature djiboutienne à la présidence de la Commission de l’Union africaine. L’épisode illustre une réalité : même les ministères sociaux peuvent être intégrés à la diplomatie d’influence, en raison de la confiance accordée à certains profils et de leur capacité à porter un message politique au-delà de leur portefeuille.

Dans d’autres espaces, la dimension sociale se décline par des engagements thématiques : inclusion des personnes en situation de handicap, sécurité alimentaire et nutritionnelle, égalité de genre, vulnérabilités rurales. Ces sujets apparaissent dans les discours et comptes rendus institutionnels. Ils renvoient à des défis structurels, particulièrement marqués dans la Corne de l’Afrique, où les aléas climatiques, les pressions économiques et les fragilités sociales s’additionnent.

Enfin, la trajectoire d’Ouloufa Ismail Abdo met en lumière la façon dont un profil de régulation peut être recyclé dans un ministère d’action. L’ancienne présidente d’une institution censée encadrer un secteur sensible a basculé vers un ministère où l’exigence est d’agir, de distribuer, d’investir et de répondre, souvent sous contrainte. Cette transition, à elle seule, raconte un choix politique : confier un ministère social de premier plan à une figure réputée capable de gouverner des systèmes, d’encadrer des équipes, et de tenir une ligne institutionnelle.

Mais être ministre des Affaires sociales et des Solidarités, c’est aussi être exposée à la mesure la plus immédiate de la politique : la vie quotidienne des ménages. Dans ce domaine, la confiance se gagne à coups de dispositifs concrets, de régularité des aides, de qualité d’exécution, et de présence sur le terrain. C’est là que se joue, pour elle, la substance du rôle : transformer une trajectoire institutionnelle en impact social, et faire coïncider la promesse de solidarité nationale avec la réalité des besoins.

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