Dans le paysage politique camerounais, certains profils tranchent avec la trajectoire classique des partis et des campagnes. Pauline Egbe Nalova Lyonga appartient à cette catégorie de responsables dont la notoriété s’est d’abord construite dans les amphithéâtres, les conseils universitaires et la gestion des institutions publiques, avant de se déplacer vers l’arène gouvernementale. Ministre des Enseignements secondaires depuis mars 2018, membre du RDPC, elle incarne à la fois une continuité de l’appareil d’État et une singularité : celle d’une femme anglophone issue du Sud-Ouest, longtemps identifiée au monde académique, propulsée à un poste clé au cœur d’un secteur où se concentrent, année après année, des tensions sociales, des attentes familiales immenses et des débats politiques récurrents.
À Yaoundé comme dans les chefs-lieux régionaux, l’enseignement secondaire n’est pas seulement une administration : c’est un baromètre. On y mesure la confiance envers les examens, l’égalité d’accès aux parcours, la discipline scolaire, les fractures entre public et privé, et l’efficacité réelle des réformes. Dans ce contexte, la ministre est devenue un visage familier des communiqués, des consignes d’examens et des controverses. Son action, souvent perçue à travers les résultats du baccalauréat, du probatoire ou des examens techniques, s’inscrit dans une histoire plus longue, faite d’études à l’étranger, de responsabilités universitaires et de décisions administratives qui, au Cameroun, prennent rapidement une dimension nationale.
Une enfant du Sud-Ouest, une formation tournée vers les lettres et l’international
Pauline Egbe Nalova Lyonga est originaire du département du Fako, dans la région du Sud-Ouest, une zone dont la centralité symbolique est forte dans l’histoire anglophone du Cameroun. Sa scolarité se déroule d’abord dans des établissements de référence de l’espace anglophone : elle fréquente le Queen of the Rosary Secondary School à Okoyong, près de Mamfe, puis poursuit au Cameroon College of Arts, Science and Technology de Bambili, où elle obtient le GCE A Level au tournant des années 1970.
À ce moment, son itinéraire s’inscrit déjà dans une dynamique fréquente chez certains cadres camerounais : consolider une base nationale puis s’ouvrir à l’étranger. Elle intègre l’Université de Yaoundé et y décroche une licence en littérature anglaise en 1973. La littérature, souvent considérée comme un champ “moins stratégique” que l’ingénierie ou les sciences économiques, n’est pas pour autant un choix neutre : au Cameroun, pays bilingue traversé par des enjeux d’identité linguistique, le rapport à l’anglais, aux productions africaines et aux canons universitaires occidentaux structure une partie de la formation des élites.
Elle quitte ensuite le pays pour des études au Royaume-Uni, où elle obtient un master en littérature africaine à l’Université de Sheffield, avant de soutenir un doctorat en littérature anglaise à l’Université du Michigan, à Ann Arbor, aux États-Unis, en 1985. Cette séquence, qui combine Yaoundé, Sheffield et Ann Arbor, place Nalova Lyonga dans une génération de universitaires africains formés à cheval sur plusieurs traditions académiques : les humanités anglophones, les études littéraires africaines et les méthodes de recherche nord-américaines.
Cette dimension internationale deviendra un marqueur de son image publique : celle d’une intellectuelle habituée aux standards de publication et de gestion institutionnelle, dans un pays où la diplomation à l’étranger reste un capital symbolique important. Elle est aussi présentée comme auteure de publications liées à la littérature africaine, un point régulièrement rappelé dans les notices biographiques.
Des salles de cours aux responsabilités universitaires : une carrière administrative avant tout
Avant d’être ministre, Pauline Egbe Nalova Lyonga s’inscrit d’abord dans une longue carrière universitaire. Cet aspect est central pour comprendre son style de gestion, souvent décrit comme administratif, procédural, attaché aux textes, et parfois perçu comme rigide par ses détracteurs. Elle occupe, au fil des années, des fonctions de direction au sein de l’enseignement supérieur, notamment des postes de gestion académique et de vice-responsabilité au sein de son université.
Le moment le plus visible de cette trajectoire intervient en 2012, lorsqu’elle est nommée à la tête de l’Université de Buéa. Elle occupe ce poste pendant environ cinq ans, jusqu’en 2017. Diriger l’Université de Buéa n’est pas anodin : cet établissement, installé au cœur du Sud-Ouest, est l’un des pôles majeurs de l’enseignement supérieur anglophone. L’université est aussi un espace où se cristallisent des revendications, des débats sur les ressources, la gouvernance, la professionnalisation et la place de l’anglais dans l’administration. Être à sa tête place nécessairement la responsable dans un rôle à la fois académique et politique, même lorsque la fonction reste officiellement universitaire.
Cette expérience de rectorat forge une compétence très spécifique : la gestion de communautés nombreuses et hétérogènes, la négociation avec des syndicats, l’organisation d’examens universitaires, la supervision des budgets et la relation constante avec l’administration centrale. Au Cameroun, où l’État demeure fortement centralisé, un recteur ne gouverne jamais seul : il compose avec les ministères de tutelle, les autorités administratives et les équilibres politiques locaux. C’est une école de pouvoir, parfois plus exigeante qu’un portefeuille ministériel, car elle expose au quotidien aux frustrations des étudiants, aux attentes des enseignants et aux pressions liées aux infrastructures.
Après son départ de la tête de l’Université de Buéa en 2017, Pauline Egbe Nalova Lyonga est ensuite nommée présidente du conseil d’administration de l’Hôpital général de Douala, une responsabilité qu’elle n’occupe que quelques mois avant d’entrer au gouvernement. Ce passage par le secteur hospitalier, même bref, illustre un trait fréquent dans les carrières de hauts responsables : la mobilité entre des institutions très différentes, au gré des arbitrages présidentiels et des besoins de l’État.
2018 : entrée au gouvernement et poids stratégique du ministère des Enseignements secondaires
Pauline Egbe Nalova Lyonga devient ministre des Enseignements secondaires lors du remaniement ministériel de mars 2018. La date compte : à cette période, le Cameroun traverse déjà la crise dite anglophone, marquée par des tensions politiques et sécuritaires dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Dans ce contexte, la promotion de figures anglophones à des postes sensibles est interprétée comme un signal politique, au-delà des compétences individuelles. Des médias ont notamment souligné que cette nomination s’inscrivait dans un moment où le pouvoir cherchait à donner des gages d’inclusion à des régions en colère, même si l’impact réel de ces choix restait discuté.
Le portefeuille des Enseignements secondaires est l’un des plus exposés du gouvernement camerounais. Il couvre l’enseignement secondaire général et technique, ainsi que la formation dans les établissements relevant de l’enseignement normal, avec des missions qui vont de l’organisation du système à la définition des programmes, en passant par la planification, la carte scolaire, la politique du livre et le suivi des infrastructures. C’est aussi un ministère qui exerce une tutelle sur des organismes particulièrement sensibles : l’Office du Baccalauréat du Cameroun (OBC) et le General Certificate Examination Board (GCE Board), piliers de la crédibilité des examens nationaux.
En clair, la ministre se trouve au carrefour de deux obsessions nationales : la valeur des diplômes et la justice scolaire. Chaque année, les examens officiels mobilisent des centaines de milliers de candidats, des familles entières, des enseignants, des surveillants, des correcteurs et des jurys. La moindre fuite de sujet, la moindre suspicion de fraude, la moindre rumeur sur une consigne ministérielle peut provoquer un choc dans l’opinion. Et dans un pays où l’école demeure, pour une grande partie de la population, la principale promesse de mobilité sociale, une décision sur les conditions de délibération ou de repêchage peut devenir immédiatement politique.
La nomination de Nalova Lyonga est aussi celle d’une universitaire dans un ministère réputé pour son administration lourde et ses injonctions contradictoires : améliorer la qualité sans exclure davantage, lutter contre la fraude sans briser la confiance, réformer les filières tout en conservant l’adhésion des enseignants. Ce sont ces lignes de tension qui vont structurer sa présence au gouvernement.
Réformes, décisions et controverses : discipline scolaire, examens, et scolarité des jeunes filles enceintes
Dès les premières années, le nom de Pauline Egbe Nalova Lyonga est associé à une approche présentée comme ferme sur la discipline scolaire et la crédibilité des examens. L’un des épisodes les plus commentés concerne les soupçons de fraude au baccalauréat, notamment la session 2020, sur fond d’accusations de fuites et de circulation de sujets via des canaux numériques. Des articles ont rapporté des décisions d’annulation de diplômes et des sanctions administratives visant des responsables, dans un climat où la lutte contre la fraude devient une bataille permanente.
Cette sévérité, revendiquée ou prêtée à la ministre, se retrouve aussi dans les débats sur les délibérations et les seuils de réussite. En 2024, la publication des résultats du baccalauréat a déclenché une onde de choc, avec un taux de réussite particulièrement bas, présenté comme le pire depuis deux décennies. Plusieurs explications ont circulé : effet durable des perturbations liées à la pandémie, inégalités entre établissements, transformation des méthodes de travail des élèves, mais aussi application stricte d’instructions sur le repêchage et les seuils de moyenne. Dans un tel contexte, la ministre devient la figure sur laquelle se cristallisent des récits opposés : pour certains, elle “rétablit le mérite” ; pour d’autres, elle durcit un système déjà sélectif, au risque de produire des cohortes d’échecs.
La controverse ne se limite pas aux examens. Elle touche aussi aux mouvements de personnel et à la gouvernance interne du ministère, sujets très sensibles dans la fonction publique camerounaise, où affectations et redéploiements sont souvent scrutés et interprétés politiquement. Dès 2018, des réactions publiques ont accompagné des décisions de nominations et de redéploiements au sein du MINESEC, illustrant la difficulté de réorganiser un appareil administratif sans provoquer de résistances corporatistes et régionales.
Mais la décision la plus marquante, en termes d’impact social et de débat public, concerne la scolarité des jeunes filles enceintes. En avril 2022, une circulaire signée au ministère a précisé de nouvelles modalités de gestion des grossesses en milieu scolaire, mettant fin aux exclusions systématiques des élèves enceintes dans les établissements relevant de l’enseignement secondaire. Dans les discussions publiques, un point a été particulièrement retenu : l’instauration d’un congé de maternité, souvent évoqué comme étant de l’ordre de sept mois, permettant la reprise des cours après l’accouchement et une période encadrée.
Cette mesure a été saluée comme un pas vers une école moins punitive et plus protectrice, dans un pays confronté au phénomène des grossesses précoces. Elle a aussi été critiquée, parfois de manière virulente, par ceux qui y ont vu un signal ambigu sur la sexualité des adolescentes, ou un risque de banalisation d’un problème social profond. Les défenseurs de la mesure insistent sur un point : l’exclusion automatique d’une élève enceinte n’empêche pas la grossesse, mais aggrave la marginalisation et réduit les chances de reprise d’études. À l’inverse, les opposants redoutent un affaiblissement de la norme scolaire et réclament surtout des politiques de prévention et de responsabilisation des adultes.
Ce débat dépasse largement le Cameroun : dans de nombreux pays, des organisations de défense des droits humains ont documenté les obstacles rencontrés par les adolescentes enceintes ou jeunes mères pour poursuivre leur scolarité, qu’il s’agisse de discriminations, de règles formelles d’exclusion ou de pressions sociales. Au Cameroun, la circulaire de 2022 a donc agi comme un déclencheur, exposant au grand jour les contradictions d’un système où l’école doit protéger, sanctionner, instruire et parfois compenser des défaillances sociales qui la dépassent.
Dans les établissements, les effets concrets dépendent en grande partie de l’application locale : la circulaire peut fixer un cadre, mais les réalités de terrain restent marquées par le regard des pairs, la position des familles, l’attitude de certains personnels, et les conditions matérielles permettant réellement un retour en classe. C’est là que se situe la limite classique des réformes administratives : elles changent la règle, mais pas toujours les pratiques, surtout lorsque les mentalités et les moyens n’évoluent pas au même rythme.
Une ministre anglophone dans un État centralisé : symbole politique, contraintes et lecture du bilan
Au-delà des décisions sectorielles, Pauline Egbe Nalova Lyonga est aussi un symbole politique, au sens où sa trajectoire croise l’un des nœuds contemporains du Cameroun : la place des régions anglophones dans l’appareil d’État. Sa nomination en 2018, dans un moment de crise, a été analysée comme une tentative d’envoyer un message d’ouverture, alors même que la conflictualité sur le terrain fragilisait l’école, notamment dans certaines zones du Nord-Ouest et du Sud-Ouest où la scolarité a été perturbée à divers degrés selon les périodes et les localités.
Dans ce contexte, sa marge de manœuvre est doublement contrainte. D’un côté, elle dirige un ministère technique, soumis à la pression des résultats, des examens, des infrastructures et du recrutement d’enseignants. De l’autre, elle évolue dans un système politique où les grands arbitrages se décident au sommet, et où l’équilibre régional, linguistique et partisan pèse sur la lecture de chaque action. Être une femme anglophone à la tête d’un ministère aussi exposé peut renforcer la visibilité, mais aussi multiplier les procès d’intention : la moindre consigne d’examen peut être lue comme une décision pédagogique ou comme un geste politique.
Le bilan de son passage au gouvernement est donc rarement évalué sur des indicateurs strictement techniques. Il s’apprécie aussi à travers des perceptions : a-t-elle restauré la crédibilité des examens ou a-t-elle durci la sélection ? A-t-elle protégé les élèves vulnérables ou a-t-elle déplacé les problèmes vers d’autres espaces ? A-t-elle modernisé l’administration ou a-t-elle reproduit une logique de contrôle vertical ? Les réponses varient selon les acteurs : enseignants, syndicats, parents, élèves, responsables d’établissements, et observateurs politiques.
Un point, toutefois, fait consensus : le ministère des Enseignements secondaires demeure un théâtre national. Lorsque le GCE Board annonce la publication de résultats ou que l’OBC lance ses opérations d’examens, c’est toute la société qui retient son souffle. Et lorsque des responsables du MINESEC effectuent des tournées de supervision pendant les examens officiels, l’État cherche explicitement à montrer que le processus est suivi, contrôlé et légitime. La ministre, dans ce dispositif, est à la fois garante et cible : garante de la régularité, cible des frustrations.
Pauline Egbe Nalova Lyonga reste ainsi une figure ambivalente dans l’opinion : respectée pour son parcours académique et sa longévité au gouvernement, critiquée pour certaines méthodes et certaines consignes, et observée de près dès que l’école devient un sujet de crise. Son histoire illustre un phénomène plus large : au Cameroun, l’éducation est si centrale qu’elle transforme les ministres en personnages publics, bien au-delà du cercle politique traditionnel.
Ce que révèle son parcours : l’État, l’école et la fabrique des élites au Cameroun
Le parcours de Pauline Egbe Nalova Lyonga raconte enfin quelque chose de la fabrique des élites dans le Cameroun contemporain. Elle symbolise la passerelle entre l’université et la politique, entre la compétence académique et la gestion d’un ministère de masse. Cette passerelle n’est pas automatique : elle suppose un réseau, une réputation institutionnelle, une capacité à manœuvrer dans un État très hiérarchisé, et une adhésion au parti dominant, le RDPC, auquel elle est affiliée dans les notices publiques.
Son profil rappelle aussi que la politique camerounaise ne se résume pas aux figures de tribune. Une partie du pouvoir se joue dans des circulaires, des décrets, des instructions de délibération, des choix de programmes et des arbitrages budgétaires. Sur ces sujets, l’expérience administrative d’une ancienne dirigeante universitaire peut devenir un atout : elle sait gérer des procédures, organiser des examens, structurer une chaîne de commandement. Mais cela peut aussi produire un style de gouvernance moins empathique, plus technocratique, exposé à la critique lorsqu’il heurte la réalité sociale.
La question qui demeure, pour les années à venir, est celle de l’empreinte durable. Les ministres passent, mais certaines décisions restent : un cadre sur la scolarité des élèves enceintes, des normes plus strictes contre la fraude, une transformation progressive de la manière dont l’État parle du mérite et de la performance scolaire. La durabilité dépendra de la capacité du système à absorber ces changements sans renforcer les inégalités déjà visibles entre établissements, régions et catégories sociales.
Dans un pays où l’école est un horizon, et parfois une obsession, la ministre des Enseignements secondaires ne peut jamais être une figure discrète. Pauline Egbe Nalova Lyonga, par son itinéraire d’universitaire devenue ministre en période de turbulences, illustre cette réalité : au Cameroun, gouverner l’école, c’est gouverner une part du futur national.



